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Benooi est moins rude : il a les yeux rouges. Mais ce ne sont pas des larmes, c’est son cigare. Voyez : il fume comme tous les jours ; plus, puisqu’il reste à ne rien faire. Et pour aller plus vite, pendant que son cigare brûle par un bout, de l’autre il le mâche.

Tandis qu’ils sont tous là dans la salle de l’auberge dont les volets sont clos, quelqu’un frappe à la porte. Fons va ouvrir :

— Mélanie, commence une voix, voulez-vous remettre…

C’est le frère Ildefonse, l’ancien amoureux de Mélanie, qui arrive avec son petit paquet.

Il ne savait rien. Maintenant, il sait :

— Benooi, reprend-il, voulez-vous remettre ce petit paquet au premier tram ?

Ernest et Jérôme, les deux frères citadins, descendent du même train. Ils sont en deuil de ville, costumes noirs, manchettes, large crêpe au chapeau. En route, ils ont dû s’entretenir de l’héritage, mais je sais que Fons, Mélanie et Benooi ont pris leurs précautions et que ce qu’ils ont gagné à eux trois, n’ira pas aux deux autres.

Pour le chapelet du soir les voisins sont tous là, pieds nus ou sur les chaussettes. C’est Gille le boiteux qui récite les prières. À la fin, comme il annonce : « Un Ave Maria pour celui d’entre nous qui mourra le premier, » Vader lève la tête et regarde les quatre enfants qui lui restent. À qui le tour ?

Qui sonnera les cloches ? Suivant les lois du voisinage, ce serait moi. On n’ose me le demander et je ne veux pas m’offrir. Les bras me tomberaient à tirer sur les cordes, tandis que la pauvre Mélanie, dans sa boîte, passerait près de moi.

Dans la cour, on attend qu’il soit l’heure de lever le cercueil. Il fait un chaud soleil de fin d’août. Huit jours de plus, les raisins étaient mûrs. Pas de soupe aux raisins cette année ! Black, qu’on tient enfermé, hurle derrière une porte. Il y a beaucoup de monde. Avec son coude Trees, qui est en sabots,