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ces élus qui, ayant du génie, jugent indispensable d’avoir aussi du talent et qui se sentant beaucoup de choses à dire tiennent à les exprimer de leur mieux et cela dans l’intérêt même de leur pensée. Doué d’une sensibilité, d’une imagination, d’une intelligence éminemment personnelle, M. Baillon estima de son devoir, de s’interpréter de la façon la plus parfaite.

Lorsqu’il me fut donné, il y aura bientôt une couple d’années, de lire le manuscrit de Moi, quelque part, requis tout d’abord par l’originalité et le piquant du titre, je fus surpris et ravi dès les premiers paragraphes. Ce livre inclassable comme tant de chefs-d’œuvre, ce livre qui n’est pas un roman mais une suite de notations, me donnait des impressions de Campine que nul n’avait encore ressenties et exprimées avant M. Baillon. Il voyait la Campine en poète, mais aussi en philosophe et en humouriste. Il nous changeait d’un tas de paysanneries se réclamant du réalisme, mais où la peinture empiète sur la littérature et où, sous prétexte de coloris, les auteurs abusent des descriptions. Il ne disait, lui, que les détails caractéristiques et vus par ses propres yeux, les traits principaux du milieu et des personnages. Par sa langue nette et précise, sa phrase courte, nerveuse mais souverainement médullaire et suggestive, André Baillon se rapprochait de Jules Renard, l’auteur du Vigneron dans sa vigne. Comme le maître français, notre compatriote tendait parfois à l’ironie du pince-sans-rire, mais en se livrant aux constatations les plus mordantes, il gardait un fond de bonhomie, voire de charité et ne tombait jamais dans cette gouaille perpétuelle, dans ce cynisme qui nous gâtent tant de soi-disants humouristes, incapables de s’élever au-dessus de la parodie ou de la charge. Comme Jules Renard aussi, mais peut-être plus souvent que lui