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Le cimetière entoure l’église. C’est meilleur pour les morts. Ils entrent d’un bond dans la tombe, tout chauds encore de prières, et les bénédictions qu’on a versées dessus, n’ont pas le temps de s’éventer.

Devant la fosse, Guido a déplié son mouchoir. Ses mains tremblent, ses jambes tremblent, son sarrau tremble sur son dos. Il n’a pas songé à tirer sa casquette. Il se penche vers le trou et trois fois appelle : « Wanne !… Wanne !… Wanne !… » toujours plus fort, avec angoisse, vers Wanne qui ne peut plus répondre.

Des petits à leur tour hurlent après leur mère ; les femmes reniflent, les hommes se détournent ou se mouchent. Raide près de moi, Fons se mord la lèvre et fixe, immobiles, ses rudes yeux, remplis d’eau.

Pleurer comme eux ! Comme eux renâcler de chagrin, grimacer e détresse, sentir bêtement les larmes au long de ma figure, et les boire ces bonnes larmes à m’en purger l’âme !… Mais je ne suis pas assez d’ici, j’ai trop à voir et mes yeux sont trop loin de mon cœur.

M’auras-tu pardonné, toi, ô pauvre morte ? Il faut que je note la trogne du bedeau, Guido qui, à genoux maintenant, gratte la terre, ces arbres qui bougent, ce soleil si chaud qu’il aurait tôt fait craquer ton cercueil, si on ne le couvrait bien vite dans sa fosse.

Plus tard peut-être, un jour en trempant ma plume… Ton Guido qui te pleure, tes enfants, les autres qui gémissent t’auront sans doute oubliée. Tu seras « feue » Johanna. Et pour moi, tu vivras. Tu auras tes joues roses, tes dents pures comme le lait que tu tires à tes vaches ; tu couperas la bruyère à genoux, ton bonnet blanc à ras des fleurs ; tu porteras le seau de ton puits et peut-être alors, trouverai-je tout à coup cette larme, en pensant que tu viens de mourir, en voyant qu’on te rend à la terre, ô pauvre Johanna qui ne sera déjà plus qu’un peu d’os, dans un cimetière, au fond de la Campine !

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