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perdrait sa soupe aujourd’hui, il y aurait cent badauds et deux cents mots d’esprit. Personne ici ne songea à rire et s’il y eut des mots, ce furent des oh ! des ah ! mon Dieu ! comme on en entend quand il s’est produit un fait irréparable après une catastrophe.

Et c’est ici que commence l’histoire du monsieur.

En se répandant, la partie liquide de la soupe s’était écoulée dans le ruisseau. Perdue. Mais le fond restait. Un gros tas avec un peu de vert qui représentait des légumes, beaucoup de blanc qui était du riz. Cela fumait et quelle tristesse de voir ce beau riz gâché comme ça, par terre.

Le monsieur ne fit pas comme les autres qui pensaient à cette tristesse. Il ne se demanda pas si ce qui traînait s’appelait « soupe » ou « potage », s’il ne s’y mêlait pas un peu de boue ou quelques cheveux. Il s’agenouilla près du tas, râcla des mains et, poignée par poignée, se mit à remplir sa cruche. Comme elle était grande, elle avala tout. Après, il eut une pudeur et crut utile de s’expliquer :

— C’est pour mon chien.

Mais des gens le connaissaient. Il n’avait pas