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un cheveu dans sa soupe, il aurait crié très fort. Il n’aurait même pas dit : « Ma soupe » ; il aurait dit : « Mon potage. » Seulement voilà, c’était la guerre ; pas la guerre du front, ni de l’arrière : la guerre de l’autre côté, en pays occupé.

Pour ce monsieur, elle avait eu ce premier résultat qu’elle lui avait coupé toutes ressources. Exactement comme on coupe le gaz, quand on ferme le compteur. Alors tous les jours, vers l’heure de midi, cet ancien monsieur à potage se donnait un coup de brosse, glissait dans un panier une cruche, annonçait :

— Je vais à la soupe.

En pays occupé « aller à la soupe » signifiait marcher parfois pendant des kilomètres, arriver devant une certaine porte, prendre son rang dans la file, progresser lentement, puis tendre sa cruche à une grosse dame et recevoir trois louches d’une soupe où l’on était heureux de découvrir non pas un cheveu, mais gros comme un cheveu, de quelque chose qui rappelât le goût de la viande.

On recevait autant de louches qu’il y avait de membres dans la famille. Certains messieurs croyaient avoir trouvé le joint. Tout en pro-