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l’existence. Elle était pianiste. Elle faisait, de sa musique, un art.

Vous dites : « Une pianiste n’a pas grand’chose à voir avec des achats d’épices. » Et c’est bien vrai. Mais la guerre venait d’éclater. Dans le premier trouble, on avait bien le droit de perdre la tête et de mêler, à ses idées de piano, quelques idées de cannelle.

Je ne sais comment cela se passa dans les autres villes. À Bruxelles, ce fut comme un principe : lorsque la guerre éclate on fait des provisions. À cela, il y avait deux raisons. La première, c’est que les billets de banque deviendraient du jour au lendemain de la monnaie de singe. On le croyait. Mieux valait les réaliser en pièces sonnantes aux guichets de la banque ou, si le temps manquait, les refiler aux boutiquiers contre des marchandises plus réelles. La seconde, c’est que la guerre serait longue. Elle durerait quatre mois, cinq mois. Six, prétendaient les pessimistes. Alors il fallait s’assurer des provisions de bouche. Jamais on ne vit dans les magasins tant de clients à la fois. On commandait, on emballait, on enlevait. Riz, café, sucre, farine, tout ce qui, en fait de victuailles, s’entasse dans un grenier, se