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elle pensa quelque chose qu’elle n’avait pas encore pensé jusqu’ici et qui lui fit du bien : elle pensa que l’amour qui n’est pas l’amour, quand soi-même on n’est déjà pas gaie, mieux valait l’essayer avec un homme triste. Les deux peines mises ensemble, ils auraient l’air de se consoler.

Elle se promit d’y travailler de son mieux, et pour commencer, puisqu’il s’empêtrait à tirer son manteau, elle voulut l’aider :

— Non, dit-il.

Elle ne sut plus que faire, elle se tint devant lui. Elle attendit plus d’une minute ; elle songea que, n’étant pas Française, il était temps de l’avertir. Elle ouvrait la bouche quand, avec un doigt, il lui toucha la jupe.

— Enlevez.

Puis il tourna le dos. Tant mieux : elle put ainsi, comme si elle se trouvait seule, délacer ses bottines, ôter sa jupe, dégraffer son corset. Elle tira également sa chemise, pour ne rien refuser de son corps à cet homme si triste. Après, elle reprit ses bas, car il aurait pu se choquer à la voir nue tout à fait. Elle n’était pas la dame bleue ou la dame verte : elle aurait désiré qu’il le vît.

Elle toussa pour annoncer qu’elle se mettait au lit. Elle se glissa dans le fond qui n’est pas la meilleure place. Elle se couvrit d’un drap afin qu’en la trouvant il eût une surprise. Elle toussa une seconde fois.

Dans son fauteuil, il lui tournait toujours le dos. Elle ne voyait que le bas d’une jambe et la pointe d’une bottine qui battait la mesure. Tout de même, s’il l’avait oubliée ?