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III



Mais il est difficile d’oublier un Hector qui vous a tenue dans ses bras. On y pense encore plus, maintenant qu’il en tient une autre. On connaît ses gestes, on le voit qui les recommence, là, sous vos yeux, sur un corps qui n’est plus le vôtre. Vous faites votre cuisine, et vous songez à la viande que mangera Hector. Monsieur vous appelle : Marie ! et lui aussi il vous appelait « Marie ». Le soir, vous montez à votre mansarde, et son portrait que vous retrouvez, vous vous dites : « Je vais l’arracher ! » et vous n’en avez pas le courage.

Elle pleurait dans cette mansarde ; elle pleurait en servant Monsieur ; elle pleurait dans sa cuisine.

— As pas bobo, conseillait Ali, qui venait plus souvent la rejoindre.

Pour montrer qu’il faut être gaie, il frottait l’une contre l’autre ses mains dont l’intérieur semblait toujours sale. Il astiquait les fourneaux de Marie, il lui nettoyait son trottoir. Mais les nègres ne sont pas susceptibles de comprendre :

— Mon pauvre Ali !

Et puis, comment ne pas songer à Hector quand le souvenir qu’il vous a laissé est là, vivant, qui s’agite à coups de pieds dans votre ventre. Elle avait honte, à présent, de cette bosse qui la bourrait d’un bâtard, sous la jupe. Il vivait en dehors d’elle, d’une vie à part, comme