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— On jurerait des soleils, disait Monsieur.

— Pas des soleils, mais beaux quand même.

Au bout d’une semaine, elle adorait Monsieur. D’abord, il ne lui avait pas dit : « Non pas vous, ma fille. » Et puis, cette belle barbe, longue, moelleuse, qui l’habillait comme une seconde pelisse ! Il passait les mains dessus pour sentir comme elle était douce. À cause de cette barbe, elle le choyait avec respect ; bien épicées, les viandes qu’elle lui servait saignaient à point ; on peut mettre de la tendresse dans la cuisson d’un rôti.

Mieux nourries et moins pâles, les joues de Marie s’arrondissaient. Au lieu d’une, sa bouche devenait deux cerises. Et sans la bosse de ses flancs qui s’arrondissait aussi…

Monsieur le lui disait quelquefois. Il la surprenait dans sa cuisine.

— Hi ! hi ! cela pousse.

Il pouvait plaisanter, puisqu’il était le maître. Pour le reste, elle appartenait à Hector : il le savait bien.

Dans la cuisine, on voyait encore Ali. Dès qu’il trouvait une minute :

— Peux zentrer ? demandait Ali.

Il ne la gênait pas. Un nègre n’est pas un homme. Il s’installait dans un coin et demeurait sans bouger, avec ses joues de cirage et ses dents de porcelaine.

— Tenez, Ali, un susucre.

Ali tirait la langue et, comme un bon chien, en même temps que le sucre, léchait un peu les mains.

À la fin du mois, Monsieur lui compta les trente francs de ses gages. Elle en garda cinq