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pantalon comme tout le monde. Il était trop vieux. Il devait être dans l’armée ce que le père de Marie était parmi les instituteurs : un retraité. Le dimanche, il recevait ses deux nièces, des dames à panaches, qu’elle devait saluer : « Madame la Comtesse, Madame la Baronne… » En semaine, il venait d’autres visiteuses, pas précisément ses nièces : de petites filles moins cossues qui n’avaient pas de panache, ni même de chapeau. Quand elles partaient, Marie les entendait pouffer de rire dans l’escalier.

— Vous voyez, écrivait Marie à ses parents, que je suis dans un milieu très bien.

Mais elle ne soufflait mot des gamines.

La nuit, Marie avait pour elle une mansarde. Les portraits de sa mère et d’Hector piqués au mur, il restait encore beaucoup de place. Vaste et moelleux, son lit aurait pu recevoir une seconde personne. Elle y songeait quelquefois, en pensant à Hector.

Le jour, elle se tenait dans les sous-sols. De la rue, elle apercevait les pavés, les roues des voitures, l’angle qu’ouvrent et ferment les jambes des passants. Aux fêtes, elle ne pensait pas : « Il y a foule. » Elle se disait : « Mon Dieu, que de jambes ! » Ce point de vue était réduit, mais suffisait à sa vie qu’elle savait inférieure.

D’ailleurs elle possédait l’horizon de sa cuisine. Jamais elle n’avait vu à la fois autant d’ustensiles, tout en cuivre, rangés sur des planches, accrochés au mur, certains d’une forme si bizarre qu’ils ne devaient servir qu’à une chose : briller. Elle s’enivrait à les fourbir.