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Hector était ce qu’elle supposait : plus qu’un homme : un honnête homme.

En cette occasion, le père se montra un ancien instituteur rempli de morale. Cela poissait un peu :

— Marie, dit-il, vous allez à présent gagner de l’argent. N’oubliez pas que les enfants doivent à leurs parents la vie… et le reste.

Quant à la mère, elle ne dit rien. Elle avait ses propres soucis. Comment songer à ceux de sa fille ? Emplumés des ailes, elle savait que les oiseaux quittent le nid et n’en voulait pas à Marie de quitter le sien, où la becquée était rare. Que son enfant fût heureuse ! Elle le souhaitait. Si elle en douta, elle ne découvrit à personne cette inquiétude et son oreiller absorba seul, dans la nuit, ses larmes de brave femme :

— Petite Marie, toi qui m’as gonflé les flancs ; toi dont je pressais avec espoir les lèvres contre mes mamelles ; toi, dont j’aimais découvrir au berceau les jambes joyeuses et les menottes vers moi tendues ; petite Marie, ma grande Marie, prends garde. Tu t’en vas et j’ai mal. Ton départ, c’est ta seconde naissance : ma chair, encore une fois, s’ouvre et saigne à cause de toi. Je t’ai donné mon sang, mon lait, mes fatigues, la vie : peu de chose, quand aucune autre richesse ne l’accompagne. Tu t’en vas et j’ai peur. Je me retrouve en toi, fraîche et belle, comme j’étais, avant le Mâle. Vois ce que je suis devenue à cause de Lui, façonnée par la misère aux mains creuses. Petite Marie, ma grande Marie, prends garde.

Elle pensait cela, la pauvre mère, et d’autres choses encore, plus confuses. Mais il faut des