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Il restait là. Ses yeux, on aurait dit qu’il ne voyait rien avec ses yeux ; il ne semblait pas l’entendre ; mais dès qu’elle bougeait, deux méchantes rides sur son front… Comment faire ? Elle devait travailler cependant et pour deux.

Le soir il se couchait, harassé. Elle le dorlotait dans ses bras. Il se fâchait : « Non, cela me dégoûte. » La femme n’est donc pas toujours la bienfaitrice qui console l’homme avec sa chair ? Le matin, il aurait pu être guéri. Elle l’embrassait, avec le même espoir : « Cette fois tu as bien dormi. — Non. » Il pleurait ; il avait rêvé : souvent de son grand-père, un brave homme mort depuis trois ans. Parce que cet homme était mort, il sanglotait : « C’est peut-être de ma faute qu’il soit mort ! » Il rêvait de sa mère aussi. Il voulait mourir parce qu’un jour, tout petit, il l’avait chagrinée. Il voulait que Marie mourût avec lui. Alors, que dire ? Elle interrogeait des docteurs : c’était de la faiblesse, ou bien l’estomac. Un lui dit :

— Rassurez-vous, il n’est pas encore fou.

Fou ! Elle était là, Marie, avec son cœur, avec sa chair, avec ses bras et ne pouvoir rien pour son pauvre gosse qui n’était pas encore fou ! Elle essayait. Peut-être qu’en mangeant ? Elle lui cuisinait de gros morceaux de viande. « Mange, chéri », et lui : « Non. »

À ne plus manger, il devenait maigre. Il avait parfois des désirs comme en ont les enfants. Il voulut d’abord un canari, puis un petit chien noir. Le petit chien mourut ; il le pleura un mois durant. Après, il désira une plante. Il regardait se développer la fleur : il la touchait avec ses doigts : « Comme c’est beau, la vie. »