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Ils ne le quittaient pas ; ils criaient, ces yeux : « Chéri, je t’aime ; les autres n’existent pas ; pour moi, tu es beau et tantôt… ! » Quand ils partirent, elle ne se pendit pas à son bras, il s’accrocha au sien. Il y a une différence. Veinard !

Pourtant, sans Marie, il retrouvait son mur de goudron.

Cela venait de loin. Vous ne savez pas ? En août, le soir, il y a, le long des chemins, des champs de pommes de terre. C’est laid, c’est un peu bête ; le sol est rêche, les fanes sont presque mortes, mais cela sent, oh ! pas les complications d’une cocotte, un arôme d’œillet et de sucre, quelque chose de doux, quelque chose de subtil, quelque chose comme si une vierge détachait pour vous, par en haut, rien que le premier bouton de son corsage. Il connaissait ce parfum, il humait ce parfum, et un soir, au long d’un chemin, il avait pensé : « Pourtant si quelque jour, je ne pouvais plus respirer ce secret de la Terre ! »

C’est ainsi lorsqu’on a peur de la vie.

Goudron la vie, goudron l’argent quand il vous manque. Il avait son emploi. Les patrons, qui vous paient cent francs par mois vos promenades, ne sont pas des gens sérieux. Les cent francs, ils les prélèvent sur vos dix mille : ils fleurent la banqueroute. Où irait-il alors ? Un jour, il avait vu des bureaux, de vrais, une salle lugubre, une salle enfermée : une boîte à mouches pour hommes. C’est là qu’on se brise à jamais les ailes. Pas tant le travail, pas tant les fenêtres closes, mais les secondes, une à une, où vous êtes ici alors que vous pourriez être ailleurs ; mais la pensée, la pensée