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même si tu me crèves, non et encore non, de toutes ses forces, comme des dents serrées.

Elle ne vola pas, mais ce qu’elle dût voir !

Il jouait ; il avait son « club », pas à Piccadily bien sûr. Il voulait qu’elle y vienne. Elle traversait des rues à vomir, des rues avec des femmes qui étaient saoules, des rues avec des matelas par terre, des gens qui dormaient, des enfants qui tétaient, des enfants… qu’on était en train de faire. Le « club » était dans une cave : il y avait Ernest-les-Beaux-Yeux, Valère-le-Juste, l’Allumette, des hommes à casquettes, des hommes à foulards, des hommes à couteaux : tous des voleurs.

Il y avait leurs maîtresses. Et quels noms ! Le Gros Rat et le Petit Rat, Sidonie-la-Crapule, Zonzon Pepette, d’autres en cheveux, les jupes sales, avec des doigts pour les portefeuilles, des cuisses pour les genoux de tout le monde. Elle, qui était propre, on la détestait jusque dans sa robe. Les yeux à ses cartes, d’Artagnan ne levait même pas la tête. Ce n’est rien, c’est une môme qui vous rapporte sa galette. Il comptait avec mépris : « Tout ça ? C’est bon, va t’asseoir », et pendant des heures il l’oubliait sur sa banquette.

Un soir, il surgit une bagarre : des poings sur la table, des verres brisés, la lampe éteinte, Zonzon par terre avec du rouge sur son corsage.

Cette fois, d’Artagnan n’oublia pas sa môme : le pouce sur la gorge il l’aplatit contre le mur :

— Toi, si tu parles !…

Une nuit, elle rentra ; d’Artagnan dormait. Il dormait comme à l’aube dort une brute