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— À la bonne heure ! Tu le verras, tu ne regretteras pas ta résolution.

Et, de fait, en y réfléchissant, comme s’il eût voulu peut-être se justifier vis-à-vis de lui-même, l’idée de Rosine lui parut merveilleuse et de conséquences imprévues. Il l’admira de l’avoir trouvée.

Son dernier argument surtout le hantait. Ces hommes, ses futurs clients, aux mains rudes, aux torses râblés, dépassaient, dans leur laborieuse roture, l’indolence de tous ces seigneurs à noms sonores qu’il avait autrefois admirés. Rosine, qui sortait de cette souche généreuse, détenait dans la simplicité de son âme plus de noblesse que ces gens n’en pouvaient étaler sur leur blason. Le peuple — il l’avait lu quelque part — c’était l’arbre aux ramures puissantes et fécondes où les autres vivaient en parasites prétentieux.

Sur ce tronc, il grefferait ses efforts. Il ne s’avilirait pas en descendant vers ces hommes : la misère l’avait déjà fait leur semblable. Il se souvenait de son enthousiasme social lorsque, étudiant à Louvain, il allait mêler ses rêves aux revendications des prolétaires. L’heure arrivait de les reprendre. À cause d’eux, on l’avait exclu de l’Université et il se glorifiait d’avoir souffert déjà pour la Cause.

Peu à peu, son imagination embellissant ses projets, il en venait à oublier la pompe à bière et le torchon.

Ce n’était plus un vulgaire breuvage qu’il versait au peuple, mais le flot somptueux de sa parole. Il trouverait là des cœurs simples qui le comprendraient, dont il se ferait l’apôtre. Il écouterait leurs confidences, il écrirait pour eux !

Dans son exaltation il poussait Rosine pour qu’elle hâtât leur départ. Déjà il voyait flamboyer l’enseigne : « À l’ami du Peuple » en lettres sanglantes, proclamant à la face du monde, ses sympathies.

À Liège, dès les premiers jours, ils se mirent à la