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— Je le sais. Mais il existe des commerces faciles qui n’exigent guère d’expérience et où les risques sont légers.

Bref, après de longs ambages et prévenant Daniel que l’idée, à première vue, le choquerait peut-être, elle exposa son plan : ouvrir un débit de bière.

— Cafetier ! s’exclama-t-il. Jamais. Me vois-tu, moi, après les études que j’ai faites, établi derrière un comptoir, en tablier, verser des chopes à des ivrognes, comme un garçon ?

Elle parut mécontente :

— Préfères-tu le bureau ?

Et comme il courbait la tête sans répondre, elle n’en parla pas davantage. Pendant quelques jours, elle s’enferma dans une bouderie qui tortura Daniel. Puis un matin, s’installant sur ses genoux, lui tapotant les joues :

— Voyons, mon petit Dani, ce commerce t’effraie donc si fort ? Il n’est cependant pas plus vilain qu’un autre. Personne n’en saura rien ; je m’occuperai de tout. Tu ne te montreras pas, si tu ne le désires pas. Tu auras ta chambre, ta bibliothèque, tes livres… tu pourras écrire.

— Oui, mais toi ? demanda-t-il un peu radouci par cette promesse.

— Oh ! moi, je consens à tout pourvu que rien ne nous sépare et que tu sois heureux.

Et comme il hésitait encore :

— D’ailleurs, ajouta-t-elle, nous aurons une honnête clientèle : des ouvriers, des houilleurs et ces gens ne sont pas si mauvais. Leur société vaut bien celle des comtes russes.

Ce raisonnement parut le frapper. Et comme il était las, qu’il craignait, s’il s’obstinait, de voir sa maîtresse encore maussade :

— Soit, dit-il enfin, tu feras comme tu voudras.