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doivent le juger ceux qui voudront luy faire son procez.

M De Zuytlichem à qui le public a la prémiére obligation de cét ouvrage étoit encore dans le deuil qu’il avoit pris pour la mort de sa femme, qui étoit décédée dés le mois d’avril de l’année 1637. Cette dame s’appelloit Susanne De Baerle, et elle fut pleurée par tous les amis de M De Zuytlichem, c’est-à-dire, par une infinité de personnes de marque répanduës dans l’Europe. C’étoient des larmes dûës à son mérite particulier plûtôt qu’à la douleur de son mary. Elle ne s’étoit pas contentée de luy donner des enfans qui ont dignement soûtenu la dignité et le nom de leur famille par leurs excellentes qualitez, elle s’étoit encore distinguée par une conduite irréprochable et par tout ce qui peut former la réputation d’une personne d’honneur. Elle avoit outre cela des connoissances qui l’élevoient au dessus du commun de son séxe : et qui plus est, elle étoit bel esprit. Elle sçavoit écrire sérieusement, et plaisanter agréablement en prose et en vers latins. Elle avoit pris plaisir à s’exercer entr’autres contre le poëte Barlaeus à cause de la rencontre de son surnom avec le sien : et ils s’envoyoient des vers l’un à l’autre avec une liberté de stile fort grande à la vérité, mais toûjours innocente du côté de Madame De Zuytlichem, qui voulant un jour luy reprocher sa timidité, mit à la tête de la piéce qu’elle luy addressoit Susanna Barlaeus Gaspari Barlaeae. M Descartes avoit été trés-sensible à la perte que M De Zuytlichem avoit faite d’une femme de ce mérite, et il s’étoit acquitté de bonne heure des devoirs que luy prescrivoit leur amitié mutuelle. Il luy avoit écrit dés le mois de may une lettre de consolation qu’il n’avoit remplie que des maximes de la philosophie, pour faire souvenir son ami qu’il ne devoit pas être moins philosophe en cette occasion que dans les autres accidens de la vie. M De Zuytlichem avoit toûjours espéré que M De Balzac, qui passoit alors pour un charmant discoureur, et pour un grand maître dans l’art de consoler les affligez ; et qui jusques-là s’étoit rendu fort assidu à luy écrire, ne luy manqueroit pas en cette rencontre. Mais toute l’année 1637 s’écoula sans qu’il reçût rien de sa part, et qu’il entendît même parler de luy. Il s’en plaignit à M Descartes comme à un ami commun, capable de