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retira son privilége, et se contenta d’en donner un extrait au libraire, où il supprima le nom de l’auteur.

Le reméde fut presque sans effet : et lors qu’il fut question de distribuer les présens de son livre, il s’apperçût au moins qu’il étoit inutile de dissimuler le nom de la personne, de la part de qui on devoit les recevoir. Il faut avoüer (dit-il à un gentil-homme de la cour du Prince D’Orange) que n’ayant pas voulu mettre mon nom à mes ecrits, je ne m’étois point attendu qu’ils me dussent donner occasion de le faire dire à des personnes aussi hautes que celles à qui il s’agit de les presenter. Mais ayant reçû ces jours derniers un privilége du roy dans lequel il a été mis, quelque soin que j’aye eu de le celer, je crois devoir faire maintenant comme si j’avois eu dessein de le publier ; et je ne puis presque plus supposer qu’il soit inconnu.

Mais parce qu’on a ajoûté quelques clauses dans ce privilége que je n’ay jamais vuës en d’autres livres, et qui sont beaucoup plus avantageuses pour moy que je ne mérite, bien que je ne les aye point desirées, et que je n’aye demandé qu’à être reçû au nombre des ecrivains les plus vulgaires : j’en suis tellement obligé au roy que je ne sçay quels moiens je dois chercher pour lui faire paroître ma reconnoissance. Car je ne crois pas que nous soyons seulement redevables aux grands des faveurs que nous recevons immédiatement de leurs mains, mais aussi de toutes celles qui nous viennent de leurs ministres, tant parce qu’ils leur en donnent le pouvoir, que parce qu’ayant fait choix de telles personnes plûtôt que d’autres, nous devons croire que leurs inclinations à nous obliger sont les mêmes que nous remarquons en ceux ausquels ils donnent pouvoir de nous faire du bien. Ainsi quoique je n’aye pas la vanité de croire que les pensées du roy se soient abbaissées jusqu’à moy, et qu’il sçache rien du privilége que m. Le chancelier a eu la bonté de me scéeller, je ne laisse pas d’en avoir la prémiére et la principale obligation à sa majesté. Je reconnois en cela que la France est bien autrement et beaucoup mieux gouvernée que n’étoit autrefois la ville d’Ephése, où il étoit deffendu d’exceller : vû qu’on y gratifie non seulement ceux qui excellent, au rang desquels je n’ose aspirer, mais même ceux qui font quelque effort pour