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de leur patrie, et souvent leur propre famille. Aussi n’avoit-il garde de répondre à cette accusation, s’estimant assez glorieux de pouvoir être condamné avec tant de grands hommes. Ses envieux qui ne pouvoient nier que rien n’est plus commode pour l’étude de la vraye philosophie que la retraite et la solitude, ont tâché de tourner la sienne à sa honte, comme si au lieu d’user de sa solitude en philosophe, il en eût abusé dans la mollesse ou dans quelque oisiveté criminelle ; il avoit certainement l’humeur fort éloignée de celle des mélancholiques et des misanthropes : et s’il n’avoit eu à vivre dans Paris qu’avec d’honnêtes gens, qu’avec des personnes capables de l’édifier, il n’auroit point cherché de séparation.

Le mêlange des uns avec les autres l’a fait résoudre de se priver de l’avantage qu’il auroit trouvé dans la compagnie des gens de bien et des sçavans, pour n’avoir pas à souffrir celle des personnes qui n’avoient point ces qualitez. C’est ce qu’il fit connoître long-têms aprés à M Chanut. Je me plains, dit-il, de ce que le monde est trop grand à raison du peu d’honnêtes gens qui s’y trouvent. Je voudrois qu’ils fussent tous assemblez en une ville : et alors je serois ravi de quitter mon hermitage pour aller vivre avec eux, s’ils me vouloient recevoir en leur compagnie. Car encore que je fuye la multitude à cause de la quantité des impertinens et des importuns qu’on y rencontre, je ne laisse pas de penser que le plus grand bien de la vie est de joüir de la conversation des personnes qu’on estime. Ce n’êtoit ni la fierté ni l’impatience qui luy mettoit ces expressions dans la bouche : et il ne parloit de la sorte que dans la persuasion où il étoit que Dieu demandoit de luy autre chose que de supporter les defauts des autres, ou de condescendre aux volontez de la multitude.