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il étoit absent de sa mémoire : et l’on doit juger de l’inquiétude où il étoit pour sa conservation, sur une fausse nouvelle qu’on avoit répanduë de sa mort vers la fin de l’an 1640. Il fit connoître par avance combien la perte d’un tel ami luy seroit sensible, parce, dit-il au Pére Mersenne, qu’il le tenoit pour un des meilleurs esprits qui fussent au monde.

M Descartes fit encore amitié avec le Sieur Jean Baptiste Morin docteur en médecine, et professeur royal des mathématiques à Paris. Il étoit natif de Ville-Franche dans le beaujolois, et plus âgé que M Descartes : mais il luy survêquit de six ans et quelques mois. Il y avoit déja plusieurs années que M Morin s’étoit mis au rang des auteurs, lorsqu’il commença à connoître M Descartes : et dés l’an 1619 il avoit publié à Paris un livre latin sous le titre de nouvelle anatomie du monde sublunaire. M Descartes qui avoit un discernement fort grand des esprits, ne l’estima jamais au de-là de son prix. Mais quoy qu’il sçût précisément ce qu’il pouvoit valoir, il ne laissa point de le considérer au moins dans les prémiéres années de leur connoissance, avec tous les égards et toutes les honnêtetez qu’il auroit pû avoir pour un ami qui auroit eu le cœur plus droit, et l’esprit plus solide. Il y avoit certainement de la justice à traiter ainsi M Morin.

Car on peut dire que M Descartes avoit peu d’amis plus ardens et plus engagez que luy dans ses intérêts, si l’on s’en rapporte aux termes d’une longue lettre qu’il luy en écrivit douze ans depuis. Le R P Mersenne, dit M Morin, vous peut assurer que j’ay toûjours été l’un de vos partisans : et de mon naturel je haïs et je déteste cette racaille d’esprits malins , qui voyant paroître quelque esprit relevé comme un astre nouveau, au lieu de luy sçavoir bon gré de ses labeurs, et nouvelles inventions, s’enflent d’envie contre luy, et n’ont autre but que d’offusquer ou éteindre son nom, sa gloire et ses mérites : bien qu’ils soient par luy tirez de l’ignorance des choses, dont libéralement il leur donne la connoissance. J’ay passé par ces piques, et je sçay ce qu’en vaut l’aune.

La postérité plaindra mon malheur : et parlant de ce siécle de fer, elle dira avec vérité que la fortune n’étoit pas pour les hommes sçavans. Je souhaite néanmoins qu’elle vous soit plus favorable qu’à moy, afin que nous puissions