Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/208

Cette page n’a pas encore été corrigée

à regarder toutes choses de ce biais. Mais étant venu à bout de mettre une fois son esprit dans cette situation, il se trouva tout préparé à souffrir tranquillement les maladies, et les disgraces de la fortune dans lesquelles il plairoit à Dieu de l’éxercer. Il croyoit que c’étoit principalement en ce point que consistoit le secret des anciens philosophes, qui avoient pû autrefois se soustraire de l’empire de la fortune ; et malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux.

Ces maximes qui ont été peut-être les seules (avec les véritez de la foy qu’il avoit apprises en sa jeunesse) dans le préjugé desquelles il ait voulu demeurer inviolablement toute sa vie, n’étoient fondées que sur le dessein qu’il avoit de continuer à s’instruire de plus en plus. Il témoigne que jamais il n’eût pû borner ses desirs ni se rendre content, s’il n’eût été persuadé que le chemin qu’il avoit pris pour parvenir à toutes les connoissances dont il seroit capable, étoit le même qui devoit aussi le conduire à l’acquisition de tous les vrays biens, dont la joüissance pourroit jamais être en son pouvoir.

Sçachant que nôtre volonté ne se porte à suivre ou à füir aucune chose qu’autant que nôtre entendement la luy represente bonne ou mauvaise, il croyoit qu’il luy suffiroit de bien juger pour bien faire, c’est-à-dire, pour acquerir toutes les vertus, et tous les biens qu’elles peuvent produire.

Avec ces dispositions intérieures il vivoit en apparence de la même maniére que ceux qui étant libres de tout employ ne songent qu’à passer une vie douce et innocente aux yeux des hommes ; qui s’étudient à séparer les plaisirs des vices ; et qui pour joüir de leur loisir sans s’ennuyer ont recours de têms en têms à des divertissemens honnêtes. Ainsi sa conduite n’ayant rien de singulier qui fût capable de fraper les yeux ou l’imagination des autres, personne ne formoit d’obstacle à la continuation de ses desseins, et il avançoit de jour en jour dans la recherche de la vérité qui regarde les choses naturelles. Mais il se reservoit de têms en têms quelques heures, qu’il employoit particuliérement à reduire sa méthode en pratique dans des difficultez de mathématique, ou dans d’autres même qu’il pouvoit rendre presque semblables à