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de mer et ceux des bois, que ceux-ci peuvent en assurance laisser la vie à ceux qu’ils volent, et se sauver sans être reconnus : au lieu que ceux-là ne peuvent mettre à bord une personne qu’ils auront volée, sans s’exposer au danger d’être dénoncez par la même personne. Aussi les mariniers de M Descartes prirent-ils des mesures plus sûres pour ne pas tomber dans un pareil inconvenient. Ils voyoient que c’étoit un étranger venu de loin, qui n’avoit nulle connoissance dans le pays, et que personne ne s’aviseroit de réclamer, quand il viendroit à manquer. Ils le trouvoient d’une humeur fort tranquille, fort patiente ; et jugeant à la douceur de sa mine, et à l’honnêteté qu’il avoit pour eux, que ce n’étoit qu’un jeune homme qui n’avoit pas encore beaucoup d’expérience, ils conclurent qu’ils en auroient meilleur marché de sa vie. Ils ne firent point difficulté de tenir leur conseil en sa présence, ne croyant pas qu’il sçût d’autre langue que celle dont il s’entretenoit avec son valet ; et leurs déliberations alloient à l’assommer, à le jetter dans l’eau, et à profiter de ses dépoüilles.

M Descartes voyant que c’étoit tout de bon, se leva tout d’un coup, changea de contenance, tira l’épée d’une fierté imprévuë, leur parla en leur langue d’un ton qui les saisit, et les menaça de les percer sur l’heure, s’ils osoient luy faire insulte. Ce fut en cette rencontre qu’il s’apperçut de l’impression que peut faire la hardiesse d’un homme sur une ame basse ; je dis une hardiesse qui s’éléve beaucoup au dessus des forces et du pouvoir dans l’éxécution ; une hardiesse qui en d’autres occasions pourroit passer pour une pure rodomontade. Celle qu’il fit paroître pour lors eut un effet merveilleux sur l’esprit de ces misérables. L’épouvante qu’ils en eurent fut suivie d’un étourdissement qui les empêcha de considérer leur avantage, et ils le conduisirent aussi paisiblement qu’il pût souhaiter.