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Et mon œil ; de triſteſſe & déteint & défait,
Demeure en amertume, tout en pleurs ſe fond.
Deliure-moi Seigneur, & me méts pres de toi :
La main de qui que ſoit me viene guerroier :
Mes beaus iours ſont paſſés. Loin me faut renuoier
Mes penſers qui donoient à mon cueur tant d’émoi,
La nuit lon change en iour. I’eſpere la clerté
Apres la nuit encor. L’Enfer fut ma maiſon,
Et ne me ſuis rendu. Dans l’oſcure priſon
Mon lit ie fi dreſſer : & i’en ſuis exemté.
Mon pere eſt pourriture, ai-ie dit : & les vers
Sont ma mere & ma ſeur. S’ainſin eſt, ou eſt donc
Mon eſperer ? ou eſt mon patienter longs ?
Tu es, Seigneur, mon Dieu : qui m’as les yeus ouuers.

viii. Pelli meæ conſumtis carnibus.

Ma chair toute ſe fond : mes os perſent ma peau :
Les léures ſeulement reſtent deſur mes dens.
Au moins vous mes amis, aiés me regardans
Pitié de moi, qui ſuis pres d’aler au tumbeau.
Car la main du Seigneur ma touché rudement.
Et pour quoy come Dieu me perſecutés-vous.
Et pourquoy de ma chair ainſi vous ſoulés-vous ?
 Que tout ce que ie di ſoit écrit ſeulement !
Qui feraque mes mots en vn liure ſoient mis ?
D’vne pointe de fer traſſés deſus du plom,
Ou graués dans vn marbre ? Ah mon Sauueur toutbon
Vit, & ie le ſçai bien : & ce qu’il m’a promis.
Je ſçai qu’au dernier iour de terre leuerai :
Et qu’encore viuant de ma peau reuetu