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avaient frappé jadis, en raison surtout du contraste formel qu’elles offraient avec les manières réservées jusqu’au scrupule de son père. Il se souvint aussi que le voyageur lui avait témoigné beaucoup de sympathie, et raconté très patiemment ses lointains voyages.

Quant à la proposition en elle-même, si affectueusement qu’elle fût formulée, elle lui parut au premier abord extravagante. Il était de ces parisiens qui ne s’imaginent pas qu’on puisse vivre ailleurs qu’à Paris. Il ne se voyait pas du tout dans le rôle classique du colon, tout de blanc habillé avec un gigantesque chapeau de paille, fouaillant à coups de fouet une équipe de travailleurs noirs comme des taupes et nus comme des vers. Jamais d’ailleurs il ne s’était occupé de culture, grande ou petite, et à peine eût-il été capable de distinguer un pied de haricots d’un pied de petits pois. Le commerce ne lui était guère moins étranger ; et, quant aux mines d’or, d’argent ou de n’importe quoi, il ne les connaissait que pour avoir joué dessus à la Bourse. Dans ces conditions, qu’eût-il été faire à Madagascar, loin de tout ce qui avait été jusque-là ses occupations, ses goûts, sa vie en un mot ?

Il remuait toutes ces réflexions lorsqu’un léger coup frappé à la porte de son cabinet le rappela à la réalité. C’était Mme Berthier qui, prise d’inquiétude en entendant son mari marcher à grands pas, accourait s’assurer si quelque nouvel incident fâcheux ne venait pas troubler encore une fois la paix de leur intérieur. Ses inquiétudes à peine apaisées par l’explication qu’elle avait eue avec Michel, allait-elle être forcée de trembler de nouveau pour l’avenir et de voir se rassombrir le front de l’homme qu’elle aimait si tendrement ?