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l’inconnu regarda Henri avec des yeux de chien à demi noyé qu’on vient de retirer de l’eau, articula un « Merci, monsieur ! » à peu près intelligible : puis brusquement il retomba dans un sommeil écrasant. Très embarrassé de ce compagnon passablement gênant, Henri ne pouvait pourtant pas l’abandonner, après l’avoir sauvé une première fois de la baïonnette des Tirailleurs, et une seconde fois de la faim qui le torturait ; d’autant que, d’après les quelques mots qu’on avait pu lui arracher, c’était d’un Européen, d’un Français même qu’il s’agissait. Les hommes de l’avant-garde avaient trop à faire de se porter eux-mêmes, avec leurs armes et leur sac, pour qu’on leur imposât la surcharge d’un corps aussi lourd. Heureusement un mulet de bât étant venu à passer à ce moment, Henri ordonna à son conducteur de le débarrasser des deux caisses qu’il transportait et de les charger sur ses propres épaules ; puis, avec l’aide de Naïvo, il hissa tant bien que mal sur le dos de l’animal le ressuscité toujours endormi, et l’on gagna de la sorte l’étape, qui par bonheur était toute proche.

Ce fut le lendemain matin seulement que Henri put enfin savoir à qui il avait sauvé la vie. L’homme était bien un Français et son nom était bien Hector La Bretèche. Photographe de son métier, il était venu à Madagascar pour le compte de la maison Pierre Petit, avec la mission de prendre un certain nombre de clichés, dont le débit ne pouvait manquer d’être une source de bénéfices extraordinaires après la fin de l’expédition. A Tananarive, où il avait réussi à s’introduire, il avait jugé prudent de se faire passer pour un Anglais, ce qui lui était facile grâce à sa parfaite connaissance de la langue de nos