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de bravaches qui passent leur vie entière à feindre de mépriser la mort et à la craindre réellement[1].

  1. Les héros, par exemple, et autres vastes coquins prétendent qu’ils méprisent la mort ; et, pour le démontrer, ils commencent par assembler autour d’eux trois cents mille compagnons. Il nous semble pourtant que, pour mépriser la mort, on n’a pas besoin d’une si nombreuse compagnie de souteneurs. Si l’on méprisoit réellement la mort, on n’auroit pas si souvent besoin de prouver ce mépris ; c’est parce qu’on la craint réellement, qu’on veut paroître ne la pas craindre ; et c’est parce qu’on a peur soi-même, qu’on veut faire peur aux autres. Certains hommes, à force de craindre réellement la mort, et de vouloir prouver qu’ils ne la craignent pas, se rendent la vie si odieuse, qu’ils finissent par mépriser réellement leur propre vie, et encore plus celle des autres : double mépris qui coûte au moins 30 ou 40 millions d’individus par siècle, au pauvre genre humain toujours pénétré d’un très profond respect pour ceux qui lui font peur, et qui savent le détruire avec une certaine élégance. Voilà une vérité peu honorable pour celui qui la dit, mais très solide : l’art de vivre et de faire vivre est au premier rang : l’art de mourir et de tuer n’est qu’au second. Mais