La fortune mérite nos respects et nos hommages, ne fût-ce qu’en considération de ses deux filles, la confiance et la réputation. Car tels sont les deux effets que produisent les heureux succès ; l’un en nous-mêmes, l’autre, dans ceux avec qui nous vivons, et dans leurs procédés avec nous. Les hommes prudens, pour se soustraire à l’envie à laquelle les exposent leurs talens ou leurs vertus, attribuent leurs succès à la fortune ou à la divine providence. Par ce moyen, ils jouissent en paix de leur supériorité. Sans compter qu’un personnage illustre donne une plus haute idée de lui-même, lorsqu’il peut persuader qu’une puissance supérieure veille sur ses destinées. C’est dans ce même esprit que César disoit à son pilote dans une tempête : ne crains rien, mon ami, tu portes césar et sa fortune ; et que Sylla préférait la qualification d’heureux ou de fortuné, à celle de grand. On a observé aussi que ceux qui ont eu la présomption d’attribuer leurs succès à leur propre prudence et à leurs propres