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garde contre cette passion qui nous fait perdre les choses les plus désirables, et qui, souvent elle-même, est tout-à-fait à pure perte, et manque son objet. Quant aux autres pertes qu’elle cause, les poëtes nous en donnent une très juste idée, lorsqu’ils disent que l’insensé qui donna la préférence à Hélène (à Vénus), perdit les dons de Junon et de Pallas ; en effet, quiconque se livre à l’amour, renonce, par cela seul, à la fortune et à la sagesse. Le temps où cette passion

    dont elle a donné l’idée, à laquelle on donne le même nom, et qui n’existe que dans l’alcôve de notre imagination. Cette séduisante chimère que nous épousons en idée, nous la chercherons toujours et nous ne la trouverons jamais ; mais nous épouserons réellement l’objet physique qui lui ressemble un peu ; nous réaliserons notre rêve, comme le veut la nature, et l’espèce se perpétuera. Puisque la nature même nous aveugle, en nous donnant des désirs qu’elle nous ôte, en nous rendant la vue, il paroit qu’elle n’a pas voulu fonder nos plaisirs sur la vérité, et nos poëtes ont été plus dociles à ses vives leçons que notre vieux chancelier.