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DES SCIENCES, L. II. CH. XIII.

des faits qu’elle présente, rassasie l’aine humaine ; la poésie réveille son goût, en lui présentant des tableaux d’événemens extraordinaires, inattendus, variés, pleins de contrastes et de vicissitudes. En sorte que cette poésie est moins recommandable par le plaisir qu’elle peut procurer, que par la grandeur d’ame ou la pureté de mœurs qui en peuvent être le fruit. Ainsi ce n’est pas sans raison qu’elle semble avoir quelque chose de divin ; puisqu’elle élève l’ame et la ravit, pour ainsi dire, dans les hautes régions ; accommodant les simulacres des choses à nos désirs, au lieu de soumettre l’ame aux choses mêmes, comme le font la raison et l’histoire. Ainsi, c’est par ces charmes et cette convenance qui flattent l’ame humaine, et en se mariant avec les accords de la musique, pour s’insinuer plus doucement dans les ames, que la poésie s’est frayé un passage en tous lieux, au point qu’elle fut en honneur dans les siècles les plus grossiers et chez les nations les plus barbares,