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Tu as souffert de la faim et de la soif, de la chaleur et du froid. Des orages ont ravagé tes récoltes, des maladies ton pauvre corps usé. Le ciel t’apparaissait troué d’autant de prodiges que d’étoiles, sillonné d’autant de signes effrayants que de ces monstres errants dont la queue lumineuse menaçait de balayer la terre : déjà nous payions la rançon de nos crimes. Puis tu t’es réveillé comme d’un cauchemar : c’était un matin de la vie où l’alouette chante au-dessus des blés verts, et tu remerciais Dieu de t’avoir épargné dans sa colère. Tu te remets au travail, et, sous la direction d’un moine très-savant, tu aides à bâtir une belle église toute en pierres sculptées.

Certes, tu ne ressembles pas à ce serf de l’abbaye de Saint-Benoit, du nom de Stabilis, qui, devenu misérable par la suite des temps, quitta la terre où il était né, et vint s’établir, non loin de chez nous, en Bourgogne. Tu ne t’es pas, comme lui, enrichi par ton travail. Tu n’as pas, comme lui, changé ta condition de paysan contre le noble métier des armes. S’il n’y avait plus de serfs, que deviendrait le monde ? Mais tu as cessé d’être mainmortable et taillable à merci.