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LE SERVITEUR

tude prise, de ces gémissements qui font que la vieillesse ressemble à l’enfance.

Nous allions même plus loin. Deux cents mètres plus haut, à la corne d’un bois où l’on aurait ensuite pu marcher longtemps sans en sortir, le seul de tes frères qui fût, comme toi, revenu de Paris, habitait une maison sur le seuil de laquelle tu ne grattais pas souvent tes souliers du dimanche. C’était presque comme si vous aviez été l’un pour l’autre deux étrangers. Ni l’un ni l’autre vous n’étiez des sentimentaux. La vie ne vous avait pas, comme aux riches, laissé le temps de cultiver en vous le champ des émotions d’une enfance vécue en commun dans un pays sauvage.

Aller et retour, cela représentait au moins deux bons kilomètres. Je ne dirai point que tu rentrais fatigué, mais tout désorienté. C’était comme si tu avais été de retour d’un très long voyage. Tu venais pourtant de revoir le coin où s’étaient écoulées les années d’avant ta première communion. Mais du champ qui surplombe la route, de l’étang Baron, de la route même, aucun souvenir ne t’avait fait signe, pâle dans le crépuscule gris. Rude et rigide, tu n’em-