Page:Bachelin - Le Serviteur.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
LE SERVITEUR

foire de mai, de partir avec, dans un panier, un canard !

Il n’avait, pour le moment, aucun poulet présentable. Ses poules pondaient toutes, que c’en était une bénédiction. Sa femme, pourtant, en aurait bien sacrifié une, mais lui, Blandin, depuis bientôt quarante ans qu’il travaillait pour les autres, commençait à y voir clair. Il se disait :

— Je ne suis pas plus avancé aujourd’hui que le premier jour ! On n’a pas un centime devant soi.

Et il ne voulut pas céder. Il dit à sa femme :

— Garde tes poules, du moment qu’on peut vendre les œufs. Moi, je vais lui porter un canard. C’est déjà bien joli !

Qui aurait cru cela de Blandin ?

Il partit donc, dès le lever du jour. Il avait trois bonnes lieues à faire. Une houssine à la main, il poussait devant lui trois cochons qu’il espérait bien vendre à la foire. Pourtant, au fond, il n’était pas trop rassuré. Près d’un demi-siècle de servitude lavait aplati à tel point qu’il ne pouvait plus se relever que pour retomber tout de suite après. Au premier kilomètre, il eut envie de retourner sur ses pas, pour changer