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préface.

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brunn ; un morceau poétique sur le Jugement dernier, intitulé Muspilli ; une description de l’océan, intitulée le Jardin de la Mer (Merigarto, Meergarten). De ces trois fragments, les deux premiers paraissent être du rx* siècle ; le dernier appartient au xx°. Les œuvres poétiques les plus intéressantes du x° et du x1e siècle sont des traductions en vers latins des vieux chants nationaux : ces vers ont beau être barbares, les moines qui les ont écrits nous ont conservé la trace des poèmes ou des traditions.qu’ils avaient sous les yeux. Tel est le poëme de Walther d’Aquílaine, composé en vers latins parle moine Eckehard, vers le milieu du xs siècle, et le poëme de Ruodlieb, rédigé aussi par un moine au commencement du siècle suivant. Au reste, le x° siècle, le xiv surtout, sont des époques de ténèbres pour la poésie allemande ; l’anarchie, les guerres féodales, les brutalités soldatesques, auxquelles l’historien ne peut comparer que les forfaits de la guerre de Trente Ans, avaient détruit jusqu’au souvenir de ces chants nationaux perpétués de bouche en bouche depuis les anciens ages. Les couvents étaient le seul refuge de l’activité littéraire. Parmi les hommes qui, dans l’afl’reux désordre du x1e siècle, maintinrent et accrurent, à force de dévouement, la tradition intellectuelle, il faut citer au premier rang le moine Notker (mort en 1022), chef des écoles du monastère de S’-Gall ; il traduisit en allemand les Psaumes de David et le livre de Job, l’organon d’Aristote, les Bucoliques de Virgile, l’Andrienne de Térence, le De consolation philofcphtœ et le De Trinitate de Boèce, les écrits de Marcianus Çapella, la Morale de S’Grégoire. Plusieurs de ces traductions sont perdues ; il en reste assez pour que l’histoire littéraire puisse rendre un hommage bien senti à. ce laborieux défenseur de la culture antique et de la morale chrétienne. La poésie avait aussi ses représentants dans les monastères du x1e siècle, poésie ecclésiastique, paraphrases des livres saints, exhortations à la piété, conseils adressés aux laïques et aux prêtres. On signale, parmi les innombrables auteurs de ces poésies, une religieuse nommée Ava (morte en 1127), qui composa en vers une Vie de Jésus, ou brille une merveilleuse douceur ; Hartmann, auteur d’un discours poétique sur la foi ; et un certain Henri, prêtre ou moine, qui chants les avertissements de la mort. Si nous avions a mentionner ici les ouvrages qui ne sont pas écrits en langue allemande, nous n’oublierions pas les drames si curieux, Sl saintement passionnés, que la religieuse Hroswitha écrivit à. l’imitation de Térence.

Troisième période (1137-1350). - Voici les grands jours du moyen âge germanique. L’unité de l’Allemagne est fondée ; une race de souverains passionnés pour la guerre, la poésie et les arts, donne l’essor au génie national, et, de toutes parts, des poëtes se lèvent pour chanter la glorieuse maison des Hohenstaufen. Les croisades, les guerres d’Italie, les intérêts des empereurs souabes dans le sud de la France, mettent les peuples allemands en contact avec les nations du Midi. Les premiers accents de la poésie italienne, les mélodies de la Provence, les poëmes de nos trouvères du Nord, les épopées mystiques et chevaleresques empruntées aux traditions bretonnes, pénètrent dans les contrées germaniques et y suscitent des inspirations originales. Uimagination de l’Allemagne s’éveille, et sa langue se délie ; la voila entrée dans le grand chœur des nations européennes. Tantôt elle reprend ces vieilles légendes dont elle avait perdu le goût, et les consacre en des œuvres où un style plus cultivé n’efl’ace pas cependant Phéroîque rudesse de la tradition ; tantôt elle s’inspire des chants d’amour provençaux, des épopées mystiques de la Bretagne : mais c’est pour répandre, sous ces sujets d’emprunt, des idées et des sentiments qui lui sont propres. La poésie allemande, a l’époque des Hohenstaufen, nous offre trois des grandes formes de l’art : elle est épique, lyrique, ou didactique ; le drame ne viendra que plus tard. La poésie épique, si on considère les sujets qu’elle traité, se divise en trois branches distinctes : poëmes nationaux sur les vieux chefs germains, poëmes féodaux sur Charlemagne et ses pairs, poëmes chevaleresques et religieux sur le roi breton Arthur et les mystères du S’-Graal, voila le champ immense qu’elle embrasse. Les plus anciens des poèmes nationaux sont le Roi Rother, où l’ou voit la fille de Constantin enlevée par un héros de la Germanie, l’Empereur Otnzt, Wolf Dietrich, d’autres encore, écrits au xn° siècle, et q)ui composent le recueil intitulé Livre-des héros (Helden uçh) ; les Niebelungen, que les Allemands agôpellent leur Ilzade, et Gudrun, qu’ils osent comparer à l’dyssee, sont les plus glorieux produits de cette inspi-82 ALL

ration héroïque. Parmi les poèmes consacrés aux traditions carolingiennes, il faut citer le Chant de Roland (Rolunslied), écrit au xns siècle par Conrad le Prétre, et remanié au xmf par Stricker ; Flore et Blancheflore, par Conrad Fleck ; Guillaume d’Orange, par Woltram d’Eschenbach et Ulric de Thurheim. Les principaux poëmes sur le roi Arthur et la Table Ronde sont le Parcival et le Tilurel de Wolfram d’Eschenbach, le Lohengrin attribué aussi à Wolfram, Tristan et [solde de Gottfried de Strasbourg, Iwein de Hartmann von der Aue, La-ncelot du Lac de Ulric de Zazichoven. — A ces trois classes bien distinctes de poëmes épiques il faut ajouter encore des épopées, antiques par le sujet seulement, en réalité féodales et chevaleresques par Pinspiration qui les anime, comme l’Ènéíde de Henri de Veldeck, la Guerre de Troie de Conrad de Wurzbourg, et surtout Alexandre le Grand de Lambrecht. Signalons aussi de poétiques narrations empruntées soit à l’histoire, soit à la Bible, soit aux légendes populaires, le Duc Ernest, Salomon et Morolfi le Pauvre Henri, Saint-Georges, Barlaam et Josaphat, le Croisé, etc.

La poésie lyrique est représentée par les Chautres d’amour (Minnesznger), et jamais la tendresse, le dévouement, l*union presque mystique de l’amour d’ici-bas et des extases célestes, n’ont trouvé une expression plus suave. Les chefs de ces mélodieuses phalanges, les émules des maîtres provençaux, des Arnaud Daniel et des Giraud de Borneil, ce sont Beinmar, Hadloub, Henri de Morungen, Gottfried de Neifen, Burkart de Hohenfels, Ulric de Wintersteten, Ulric de Lichtenstein, et surtout leur maître a tous, Walther de Vogelweide, le grand poëte gibelin du xms siècle (mort en 1228). Walther de Vogelweide n’est pas seulement le chantre de l’amour pur et le panégyriste des femmes allemandes ; aucune des grandes questions de son siècle ne l’a laissé indiiiérent. Ame pieuse, soldat dévoué de la croisade, il a proteste au nom des sentiments les plus chrétiens contre les abus de la cour de Rome. Il y a plus d’un rapport entre les opinions de ce vaillant homme et celles de Dante Alighieri : comme l’auteur de la Divine Comédie, le minnesinger allemand a été religieusement fidèle à l’idéal du moyen Age, et la loyauté de ses inspirations donne à ses accents une beauté. toute virile. Enfin, la poésie didactique (en comprenant sous ce titre toute poésie qui enseigne, qui moralise, tantôt d’une façon directe, tantôt a l’aide de ces symboles ou de ces énigmes que le moyen âge aimait tant), la poésie didactique nous présente de curieuses compositions : le Coureur (der Banner), de Hugues de Trimberg ; Freidank, d’un écrivain inconnu ; un recueil de fables du moine Ulric Boner, qui s’appelait le Chevalier de Dieu (Der Ritter Gotles) ; la Guerre de la Wartbourg, attribuée à Henri d’Ofterdîngen ; des chants moraux de ce Henri de Meissen qui loua si noblement les dames (on le surnomma pour cela Frauenlob), et que les dames de Mayence voulurent déposer elles-mêmes a sa dernière demeure. Dans quelle classe faut-il ranger le grand poëme du Renard (1teinaert)’I Est-ce une épopée ? Est-ce un poème didactique et moral ? L’un et l’autre à la fois. C’est la certainement une des œuvres les plus remarquables de la période qui nous occupe : l’intérêt de la composition, la richesse des détails, le sens profond de la satire, tout révèle une inspiration du premier ordre ; il faudra bien peu de chose pour que ce naïf chef-d”œuvre du XIIIe siècle devienne un chef-d’œuvre viril au xvm° entre les mains de Gœthe.

La prose, pendant cette période, produit surtout des documents politiques, des recueils de lois, des décrets impériaux, par exemple le Droit communal de la ville de Brunswick, la Pain du pays, espèce de code rédigé par Frédéric II, le Miroir des Sa :/cons, le Miroir des Souabes. Les seuls ouvrages en prose que la littérature puisse réclamer au xru° siècle sont les énergiques sermons populaires du moine franciscain Berthold, qui évangélisait les contrées allemandes sous Rodolphe de Habsbourg. La poésie est donc la véritable expression du génie germanique pendant cette riche époque, et les hommes en qui se personnifie ce magnifique essor, ce sont, avec les auteurs inconnus des Níebelungen et de Reinaert, le profond Wolfram d’Eschenbach et le généreux Walther de Vogelweide.

Quatrième période. - A la brillante époque des Hohenstaufeu et des premiers Habsbourg succède une période toute différente. L’anarchie a repris possession de l’Allemagne : guerres intestines, luttes de seigneur à seigneur, nul droit que celui de la force, voila l”état de l’Empire ; il n’y a plus de centres, plus de foyers pour les