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C’est la une question qui appartient aux mystères de l*humanité primitive ; la philologie comparée a bien pu établir, entre la langue des Allemands et celle des premières tribus aryennes, des relations manifestes de parenté, relations de descendance ou de consanguinité, si l’on peut employer ce terme ; mais ses efforts ne sauraient aller plus loin ; tout ce qui dépasse cette formule n’est que conjecture ou divination d’une science aventureuse. On ne sait pas davantage a quelle période il. faut rapporter les premières migrations des races germaniques et leur établissement en Europe. Sait-on même d’où leur vient ce nom de peuples germaniques ? Les Romains, qui, bien avant César, appelaient Germaní les peuples établis au delà du Rhin, voulaient-ils indiquer par là. que, ces tribus, diverses et quelquefois hostiles les unes aux autres, étaient unies cependant par des liens fraternels ? ou bien ce mot Gertmani n’était-il que la traduction d’un mot allemand, la reproduction d’une forme qui reparait souvent dans l’ancienne langue tudesque, irman, erman, herman, en anglo-saxon eormen, geormen ? Ce qu*il y a de certain, au milieu de toutes ces difficultés, c’est que le véritable nom des races allemandes est le mot deutsch, en ancien allemand diutisc, en anglo-saxon theodisc, en gothique thiudisles, et que la plus ancienne racine connue de ce mot est le mot gothique thiuda, qui correspond a l’šovoç des Grecs et au gens des Latins. T hiudísles, theodisc, díutisc, deutsch, tous ces termes désignent, non pas telle ou telle famille (Francs, Gépides, Vandales, Saxons, etc.), mais la race tout entière, la race de ces peuples germains qui gardaient dans leurs croyances et leurs idiomes l’attestation d’une commune origine. Il appartenait aux Goths de donner à la race allemande le nom qu’elle a conservé ; car, de tous les peuples germaniques, ce sont eux qui apparaissent les premiers dans l’histoire littéraire. La langue gothique est la plus anciennement constituée entre les langues tudesques ; c’est elle au moins qui nous ofl’re les plus vénérables traditions, les plus antiques monuments écrits. A une époque où le grec et le latin étaient les seules langues du monde chrétien, un évêque de race gothique traduisait dans sa langue nationale la plus grande partie de la Bible et de l’Évangile. Cette précieuse Bible d’Ulphilas est du rv’siècle. Faut-il faire remonter plus haut encore les premières traces de l’antique langue allemande ? Un grand philologue, M. Jacob Grimm, a essayé de prouver que les Gètes et les Goths sont un seul et même peuple ; il croit que, bien avant l’apparition historique des Germains dans le nord de l’Europe, il y avait au nord de la Grèce un peuple de race gothique, les Gètes, qui possédait une certaine culture intellectuelle et se trouvait en communication a la fois avec l’Orient et les peuples helléniques. Avant que M. Jacob Grimm eût proposé ces audacieuses conjectures, la langue gothique était déjà considérée par les maîtres de la philologie comme le véritable fondement de la langue allemande, comme l’idiome le plus riche, le plus complet, et, selon l’expression d’un critique éminent, M. Schleicher, la plus belle base d’un édifice grammatical ; si la conjecture de M. Grimm était scientifiquement établie, la langue gothique y gagnerait une bien autre importance. On a remarqué que l’allemand offre de singuliers rapports avec le grec, en même temps qu’il est allié d’une façon manifeste aux langues orientales ; la découverte de M. Grimm expliquerait ce double caractère :~c’est par les Gètes que la langue germanique, issue de la haute Asie, aurait été mise en rapport avec la Grèce. Il est certain que maintes formes élégantes (ainsi, le redoublement dans les verbes grecs, le prétérit employé comme présent) se retrouvent aussi dans la langue gothique, que seule elle les possède entre tous les idiomes de la vieille Germanie, et que c’est elle qui les a transmises a la langue moderne de l’Allemagne. Démontrez que les Gètes sont des Goths, et ces particularités de l’allemand s’expliqueront sans peine ; on verra, pour ainsi dire, ses racines’plonger dans l’Orient, et sa tige se parer des ileurs de la Grèce.

Un résultat fort curieux, et auquel M. Grimm n’a pas songé, de cette assimilation des Gètes et des Goths, c’est que le poëte des Métamorphoses, Ovide lui-même, serait le plus ancien des poëtes en langue germanique. Exilé chez les Gètes, il avait appris leur langue, et même l’idée lui était venue de prendre rang parmi les chautres que ces naîves tribus barbares écoutaient avec transport. Un jour, il leur fut un poème sur César, composé en langue gétique, et qui sait si le brillant poëte obtint jamais pareil succès à Rome ? Quand il eut fini sa lecture, tous les barbares agitèrent leurs tetes, leurs carquois chargés de ’. f ~.>>-...

ílèches, et un long murmure d’approbation suivit les de !niers mots du poëte (V. Pontiques, lettre xxn). Nous ne rappellerons pas ici tous les arguments que M. Jacob Grimm a produits en faveur de sa thèse ; disons seulement’que M. Alexandre de Humboldt, dans une note de son Cosmos, considère la conjecture de M. Grimm comme parfaitement acquise à la science, tandis qu’un critique distingué, M. Guillaume Bessel, la combat avec beaucoup de science et de talent, dans une dissertation sur les Gètes (De Rebus Geticis, Gœttingue, 1854). Si l’on quitte le terrain des conjectures pour celui des faits, il faut se borner à reconnaître quatre périodes vraiment historiques dans le développement de la langue allemande. Les quatre formes ui représentent ces quatre périodes sont : la langue gogtique, l’ancien haut allemand, le moyen haut allemand, le haut allemand moderne. En simplifiant encore, on pourrait dire qu’il n’y a la que deux formes de langage, le gothique d’une part, et de l’autre le haut allemand, subdivisé par le progrès des temps en trois périodes diverses. Entre le gothique et le liant allemand, il y à une différence de constitution et de nature ; entre le haut allemand ancien, le haut allemand moyen et le haut allemand moderne, il n’ya qu’une différence de développement historique. En d’autres termes, le gothique et le haut allemand étaient deux -dialectes distincts, qui ont existé simultanément, mais dont un seul, le gothique, a laissé une trace dans les premiers temps de la Germanie. Quand le gothique disparaît, c’està-dire vers le vn’ou le vm ? siècle, le haut allemand commence ses destinées, dont le développement embrassera trois phases principales et durera jusqu’à nos jours. Marquons donc, avec autant de précision que possible, les limites de ces périodes.

Première période : langue gothique. - Son grand monument est la Bible d’Ulphilas, écrite au iv° siècle, mais dont le texte aujourd’hui connu est, selon toute apparence, postérieur de deux cents ans à la rédaction primitive.~ Dezwcième période : ancien haut allemand. - Elle s’étend de la fin du vu° siècle au commencement du xn°. Ses monuments sont peu nombreux, mais du plus haut intérêt pour l’histoire de la langue germanique. A la fin du vn’siècle ou aux premières années du vm* appartiennent le Glossaire de S’- Gall, les deux petites poésies paiennes de Mersebourg, etc. ; au vm° siècle, la traduction d’Isidore de Séville, la version interlinéaire de la règle de S’-Benoît, par Kéron, etc. ; au xx°, le poëme d’Otfried, le serment de Strasbourg, le chant de victoire du roi Louis III, etc., au x° et au x1=, les traductions de Notker, celle des Psaumes, par exemple, celle de la Consolation de la philosophie de. Boèce, et surtout la paraphrase du Cantique des caustiques, par Williram. Troisième période : moyen haut allemand. - Elle va du xxx’siècle au xv1°. Un savant germaniste français, M. Adolphe Régnier, en fixe le début en 1137, à l’époque où la maison de Souabe, l’illustre famille des Hohenstaufen, monte sur le trône impérial, et la fait se prolonger jusgtfau moment où Luther, par sa traduction de la Bible (15 7), inaugure d’une manière éclatante la période moderne. Ses monuments sont innombrables ; ce-sont les brillants poëmes mystiques, chevaleresques, féodaux, des xn° et. xm° siècles, et les chants des Mtnnesœnger. Quatrième période : haut allemand moderne. - C’est celle que Luther a ouverte et’qui’dure encore. Dans les trois dernières périodes que nous venons de caractériser, nous n’avons signalé qu’une. seule langue, le haut allemand, c’est-à.-dire le. dialecte vraiment littéraire et qui a fini par remplacer tous les autres. Ce serait cependant une grave erreur de croire que le haut allemand a existé et s’est développé tout seul dans un pays qui, aujourd’hui encore, poursuit vainement son unité nationale. Les choses ne vont pas si simplement dans ces Allemagnes confuses ; la question des dialectes allemands du moyen âge est un des problèmes qui tourmentent*le lus l’infatigable curiosité des philologues. L’Htstotre de ya langue allemande, par M. Jacob Grimm, est surtout une large ébauche de Phiswire de ces dialectes. Les disciples ou les émules de cet illustre maître continuent chaque jour leurs recherches de détail dans les grandes routes qu’il a tracées. Nous nous bornerons a indiquer quelques résultats précis de ces travaux. La première période de l’histoire de la langue allemande, la période où apparait le gothique, présente au philologue un avantage immense : si épmeuses que soient les difficultés de la langue gothique, cette langue apparait toute seule et n’a même point de dialectes. Dès