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I. Ses caractères générawc. - Le premier caractère de la philosophie d’Alexandrie, c’est l’éclectisme, c.-a-d. l’essai d’une conciliation et d’une fusion de tous les systèmes de la philosophie grecque antérieure. Elle s’efforce aussi de mêler ensemble les traditions religieuses des différents peuples, et de les accorder avec la philosophie. Rapprocher et mettre d’accord, en montrant le lien qui les unit malgré leurs contradictions apparentes, tous les systèmes qu’avait enfantés la spéculation depuis Pythagore et les premiers philosophes ; montrer que le même accord fondamental existe entre les traditions religieuses et les dogmes des anciennes religions, au moyen d’une interprétation supérieure qui retrouve cette unité et cette identité cachées au fond des fables, des mythes ou des symboles comme dans les systèmes les plus divers et les plus opposés : telle a été la grande entreprise des Alexandrins. Cette tentative devait échouer, mais devait être faite. La philosophie ancienne, avant de s’éteindre et de disparaître, se recueille, prend conscience d’elle-même et de son passé, cherche à. rallier ses tendances diverses et ses résultats les plus importants ; elle fait l’inventaire des trésors qu’elle a amassés et qu’elle doit léguer a l’avenir. D’autre part, l’avènement d’une religion nouvelle, qui marchait rapidement à la conquête du monde, qui menaçait d’efl’acer et de remplacer tous les, anciens cultes, devait amener ceux-ci à tenter un dernier eiTort, et les engager à se coaliser pour s*opposer a l’ennemi commun. La philosophie était le seul terrain ou ils pussent se rencontrer et s’entendre, essayer de se rajeunir et de se transformer. De la le rôle de l’école d’Alexandrie : elle représente l’ensemble de la civilisation ancienne dans Perdre de la pensée philosophique et religieuse en présence du christianisme naissant et de la civilisation nouvelle. Ainsi son œuvre s’explique, bien qu’elle soit condamnée d’avance. Ce-n’est pas, certes, la grandeur ni le génie des hommes qui a manqué à cette entreprise, et, si elle a dû avorter, elle n’a pas été sans profit pour l’humanité ni pour la science, qui lui doit de grandes et de profondes doctrines, d’immenses travaux d’érudition et de critique. A cette tâche se sont dévouées de hautes et nobles intelligences. - Par quelles causes le succès était-il impossible ? D’abord, dans cet éclectisme alexandrin, la part n’est pas égale entre tous les systèmes : Pythagore, Platon et Aristote occupent le premier rang, mais Platon prédomine ; Parménide’et les Eléates sont représentés, mais s’efi’acent devant les deux princes de la philosophie grecque ; le stoïcisme figure pour une plus faible part ; l’épicurisme est totalement exclu ; le pyrrhonisme et le scepticisme de la Nouvelle Académie sont à peine mentionnés. L’élément platonicien se développe au point d’absorber tout le reste ; c’est lui qui forme le centre et le lien du système alexandrin. De la le nom de Néoplatonisme que prend cette philosophie tout entière. Ensuite, bien que tout ne soit pas opposé entre ces doctrines, et qu’un œil exercé et conciliateur puisse y découvrir des points de communauté et de ressemblance, cependant les oppositions sont trop fortes et trop profondes pour permettre une harmonie sérieuse. Quant aux dogmes religieux qu’il s”agit de concilier, comment accorder le polythéisme grec, cette religion des sens, qui divinise les passions humaines, essentiellement anthropomorphique, mais qui exprime de la manière la plus vive la liberté et la personnalité dans ses dieux, avec le panthéisme et le fatalisrne des religions de l’Orient, qui divinisent les forces de la nature et anéantissent la liberté de l*homme en absorbant l’individu dans la substance universelle ? Il ne pouvait s’établir aucune ressemblance ni concordance véritable, malgré la communauté (l’origine qui rattache les fables de la Grèce aux mythes et.aux traditions du vieux monde asiatique. Cette double tentative devait donc échouer. Toute la sagacité et la profondeur d’esprit, Pérudition ingénieuse des philosophes alexandrins, ne pouvaient réussir à montrer le lien et les affinités réelles de systèmes et de croyances si hétérogènes et si incompatibles. Le vulgaire surtout devait rester étranger à ces interprétations savantes, å. ces explications subtiles et hardies, qui transformaient la religion populaire sans lui rendre la vie ni ranimer la foi éteinte dans les âmes.

Un second caractère de la philosophie alexandrine est le mysticisme. Elle le doit principalement au contact de l’Orient et à l’esprit général de cette époque, comme a sa tendance de plus en plus exclusive, qui-est essentiellement platonicienne. Déjà. trèn-prononcé å. l’origine de cettefphilosophie, le mysticisme se dessine de plus en plus, à mesure que l’école se développe, et surtout pen-Dicr. oi- : s Lnrrncs.

dant la lutte religieuse, et tant qu’elle se prolonge. L’école finit même alors par se jeter dans toutes les extravagances de Pilluminisme le plus exalté, et par se livrer aux pratiques superstitieuses de la divination et de la théurgie. (lepepdant le mysticisme alexandrin a un caractère particulier par où il reste grec et philosophique : c’est do s’appuyer sur l’érudition, la critique et la dialectique, de ne dédaigner aucune des formes de la réflexion et du raisonnement. Par la il diffère du mysticisme oriental. Toute cette philosophie se développe sous la forme d’a.nalyses, de commentaires, de traités ; elle est livrée aux recherches les plus patientes de l’érudition et de la critique. Sa méthode consiste dans une interprétation savante, approfondie et toujours libre, . des doctrines du passé et des formes traditionnelles ; mais cette exégèse est pénétrée d’un souffle enthousiaste. La pensée, après avoir adopté comme auxiliaire et comme préparation la connaissance des faits et le raisonnement, les rejette pour adopter des procédés supérieurs, l’intuition, la contemplation et l’extase.

Quant à la doctrine elle-même de l’école d’Alexandrie, dans sa généralité et son résultat principal, on peut la qualifier d’idéalisme mystique ou de panthéisme idéaliste. Le dernier mot de cette philosophie est un système où la théologie joue le principal rôle, et se subordonne toutes les autres parties, métaphysique, cosmologie, psychologie, morale ; par la théologie tout le reste s’explique. Or, le fond en est une conception de la nature divine où Dieu est considéré à la fois comme un et triple, ou comme trimté. Dieu est’d’abord l’Etre ou l’Un, puis Plntelligence et la Putssance. Au-dessus de la puissance ou de la vie est l’intelligence, au-dessus de l’intelligence l’Etre sans forme, l’Ètre unique et indivisible, destitué de tous les attributs qui pourraient le déterminer et le limiter. Ces trois hypostases ne sont pas égales, elles ne sont pas non plus des personnes divines, ce qui distingue cette trinité du dogme chrétien. Le monde entier s’ordonne d’après le système de la nature divine. L’univers visible est l’image de la divinité ; dans la nature apparaissent les idées de Dieuet les traces du modèle divin. Mais ce monde, considéré en lui-même et dans ses phénomènes, n’est qu’une ombre et une vaine apparence. Derrière lui sont les idées, types invariables des choses, n”ayant elles-mêmes d’existence que dans l’intelligence divine. L’Ètre véritable, Dieu, reste plongé dans l’inaccessible unité de sa nature immuable et éternelle, en dehors de l’espace et du temps. - Dans la théorie de la connaissance et des puissances de l’àme, le même ordre se retrouve. La sensation forme le premier degré de la connaissance. connaissance vaine et mensongère ; un degré supérieur est le raisonnement ; au-dessus est Píntuítion de l’esprit, qui contemple l’absolu. La hiérarchie des facultés est la même : d’abord les sens et l’imagination, puis l’entendement, puis la raison et l’amour. La vérité est dans la raison ; par l’amour, l’âme s’identifie avec Dieu ; dans l’extase ou la simplification, elle perd la conscience d’elle-même et le sentiment de la personnalité, en s’absorbant dans l’Ètre infini.-La philosophie morale offre le même caractère. Les passions y jouent un certain rôle, la liberté elle-même est reconnue ; aux passions et à la volonté répondent des vertus actives et civiles. Mais au-dessus des vertus humaines sont les vertus divines, où l’âme, se dégageant des liens du corps, se rend digne de contempler Dieu et de s’unir a lui. La, toute activité cesse pour faire place a l’union et à Pídentilication avec Dieu en cette vie. Les pratiques ascétiques, la contemplation et l’extase conduisent à ce but. La philosophie d’Alexandrie explique ou juge à ce point de vue les mythes et les fables de l’antiquité grecque ou orientale. Ce système est loin du naturalisme et du panthéisme oriental, où l’homme aussi s”absorbe dans la divinité, mais où la divinité est elle-même absorbée dans la nature. C’est donc un panthéisme idéaliste. Aussi cette philosophie maintient toujours ses nobles tendances ; on y signale des erreurs et des extravagances, jamais de maximes équivoques ni de pratiques avilissantes ; Ce mysticisme conserve à l’âme sa pureté, aux vertus humaines leur prix, qui est la ressemblance avec Dieu ; mais il finit par où finit toujours le mysticisme, l’anéantissement de la volonté et de la personnalité dans Dieu. Tels sont les caractères généraux de la philosophie d’Alexandrie. Ses qualités sont la profondeur, la pureté, l’élévation morale et religieuse ; ses défauts sont l’exagération, la subtilité, l’enthousiasme, une disposition a créer et å. réaliser des absti-actions. Y ll. Son développement et ses principaux philosophes.’ 5