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s’est surtout accompli pendant le xvu’et le xvm* siècle. La classe intermédiaire, qui a porté le nom de TiersÉtat, s’est formée dans les campagnes comme dans les villes : elle comprenait les petits propriétaires, les fermiers ou cultivateurs libres.

L’administration monarchique contribua puissamment a l’amélioration du sort des populations agricoles, soit en contraignant les seigneurs à. exécuter les obligations en retour desquelles ils exêrçaîent des droits, soit en s’attribuant un certain nombre de ces droits. Cette lutte du pouvoir royal contre l’aristocratie a été très-lente, très-irrégulière, et elle n’était pas encore achevée à la fin du xvm° siècle. Parmi ses moyens généraux d’action, qui profitaient aux habitants des campagnes, il faut citer : 1° les lois de police, par lesquelles l’ordre public fut établi peu a peu et maintenu, la propriété protégée, la sûreté des chemins garantie, etc. ; 2° l’autorité judiciaire, centralisée entre les mains des parlements ; 3° l’ouverture de voies nombreuses de communication, qui fournissaient des débouchés aux produits agricoles. Ce n’est pas que, sous l’autorité monarchique, la condition des paysans n’ait été encore assez misérable : le système financier surtout leur était onéreux, puisque la taille ou impôt foncier, payée par eux seuls, était assise sur des cadastres fort imparfaits, variable selon les besoins du gouvernement, répartie avec arbitraire, et que les impôts indirects, aides, gabelles, douanes, etc., étaient autant d’obstacles à la production ou à la circulation ; il faudrait aussi se rappeler la charge de défrayer la maison du roi, celle de loger les gens de guerre. Néanmoins il y avait progrès, comparativement au régime des campagnes sous la tyrannie féodale.

Les efforts du gouvernement central en faveur de l’agriculture datent principalement de la fin du xvi° siècle. Sully, ministre’de Henri IV, plaçait la richesse de la France dans son agriculture : il s’eñ’orça donc de ramener les nobles au séjour de leurs châteaux et à la culture de leurs terres, réduisit les charges qui pesaient sur les habitants des campagnes, encouragea le dessèchement des marais et les défrichements en exemptant de contributions les terres ainsi acquises à l’agriculture, défendit de saisir pour le recouvrement des impôts les bestiaux et les instruments aratoires, améliore les anciennes routes et en ouvrit de nouvelles, propagea enfin les méthodes et les procédés utiles en faisant écrire par Olivier de Serres un Théâtre d’a47ri culture. - Colbert, qu*on a souvent accusé d’avoir sacrifié les intérèts de l’agriculture a ceux de l’industrie et du commerce, rendit cependant de grands services aux campagnes par la diminution de la taille, le perfectionnement de la viabilité, la suppression des douanes de plusieurs provinces ; dans le but d’augmenter la population, il accorda des primes aux mariages précoces ct aux familles nombreuses. - Pendant le xvmv siècle, les ouvrages sur l’agriculture se multiplièrent : l’école des Physiocrates excite. par ses écrits le zèle du public et du gouvernement pour cette importante source de la richesse nationale ; des sociétés d’agriculture commencèrent à. seformer dans les principaux chefs-lieux des provinces ; quelques assemblées provinciales se mirent à étudier les questions agricoles ; le gouvernement, enfin, sollicita le concours de tous les hommes intéressés et compétents. La noblesse, qui, sous Louis XIV, se montrait indifférente à ses intérêts de propriétaire et abandonnait a des étrangers l’administration de ses domaines, alla elle-même en prendre soin. Le principe de la liberté du commerce des grains fut proclamé, et, malgré des indécisions fréquentes chez les hommes du gouvernement, assez largement appliqué ; Turgot en a été l’un des plus fervents apôtres. l)ans les trente années qui précédèrent 1789, les germes des réformes et de la liberté décrétées par la Révolution existaient donc déjà. ’ La condition matérielle des populations agricoles a été longtemps misérable. Au moyen âge, le défaut de sécurité les obligea presque partout de ne se répandre dans les champs qu’aux époques de travaux agricoles, de n’y élever que des huttes et des cabanes temporaires, et de passer le reste de l’année dans des villages fortifiés, dont les maisons, étroitement agglomérées, malsaines. recevaient même au besoin le bétail. Ces maisons étaient construites en bois et en terre, et recouvertes de chaume, de tourbe ou de roseaux. Ce n’est guère qu’au xvn° siècle que les habitations se multiplièrent dans les campagnes, et furent groupées selon les besoins de la culture. Leur ameublement était pauvre ; l’usage des cheminées y fut longtemps inconnu, et, dans le siècle dernier encore, les paysans de Bretagne ne s’éclairaient qu’avec de la résine. 1

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Vetus de peaux de bètes ou de bure grossière, sans autre chaussure que des courroies croisées et nouées, les paysans ne connaissaient pas les étofïes de fil ou de lin, dont la fabrication date seulement du xrvfl siècle, et qui se vendirent longtemps à des prix très-élevés. Ils vivaient, selon les provinces, de laitage, de blé noir, d’orge, de seigle, d’avoine, de châtaignes, de salaisons ; la viande de boucherie figurait très-rarement dans leur alimentation, même à. la fin du siècle dernier. Cette situation devenait encore plus malheureuse dans les mauvaises années et en temps de guerre. Les épidémies et les épizooties étaient enfin plus fréquentes que de nos jours, grâce aux mauvaises conditions hygiéniques, au défaut de secours médicaux, à l’ignorance et aux préjugés des populations rurales. Si l’ignorance et la pauvreté sont de puissants auxiliaires de la démoralisation, on peut affirmer que l’état moral de ces populations fut aussi déplorable que leur état matériel : l’habitude d’une vie rude, la vigueur des liens de famille, la perpétuité des vieilles coutumes, n’ont pas rendu parmi elles, comme on le croit d’ordinaire, la vertu plus pure et plus solide. La Révolution de 1789 et le Code civil ont inauguré l’ère actuelle : l’all’ranchissement des hommes est, comme celui du sol, une œuvre accomplie, et les anciennes servitudes ont disparu. Mais le nouvel état de choses soulève des problèmes nouveaux. « En frappant jusque dans ses débris, dit M. Dareste, le système suranné de l’organisation seigneuriale, on a trop diminué l’influence des propriétaires ruraux ; on a paralysé leur action ; on a détruit des influences héréditaires, pour aboutir au morcellement indéfini du sol et à la mobilité perpétuelle des pouvoirs locaux. On a diminué également l’autorité que le clergé exerçait dans les campagnes, et surtout son indépendance. N’y a-t-il pas une force des choses qui reconstitue déjà indirectement les influences détruites ? N’est-il pas à. désirer que ces liens de sentiments et d’intérêts communs, qui unissaient. plus étroitement qu’aujourd’hui le propriétaire, le fermier et le simple ouvrier des champs, se renouent par quelque côté ? N’est-il pas bon que la terre soit sollicitée par les capitaux, même à un autre titre que celui du placement ? Ne faut-il pas rétablir quelque chose de l’ancienne solidarité qui existait entre toutes les classes de la nation ? » On juge de l’état de civilisation d’un pays par le chiffre de la population agricole. Dans une société peu civilisée, presque tous s’occupent d’agriculture ; la où l’industrie et le commerce ont pris un grand développement, le nombre des agriculteurs a diminué. En France, on évalue aux deux tiers de la population totale la population agricole ; en Angleterre, les agriculteurs ne forment que le quart ou même le cinquième de la population totale. L’Économie politique constate que l’agriculture n’y perd pas, et que, plus la population.non agricole s’accièoš, plus les débouchés s’étendent et plus la production s’l ve.

En général, le salaire agricole est au-dessous du salaire industriel, parce qu’un ouvrier d’industrie produit plus qu’un ouvrier agricole. La moyenne du salaire agricole en France est de 1 fr. 50 c. par journée de travail, et celle du salaire industriel de 3 fr. Cette différence n’est pas aussi forte qu’elle le paraît, le prix des subsistances et des autres conditions matérielles de la vie étant généralement plus ólevé dans les villes que dans les campagnes. On ne peut pas dire que Psgriculture a droit a une protection spéciale de l’État, parce que son développement fait partie de l’ensemble du développement national et n’exige rien en dehors des lois générales. La paix intérieure et extérieure, la sécurité des personnes et des propriétés, l’amélioration et la multiplication des voies de communication, les travaux d’assainissement et d’irrigation, la diffusion des méthodes et procédés utiles, la liberté de l’importation et de l’exportation, les encouragements et les récompenses, voilà les conditions générales de sa prospérité. Il faut aussi que l’impôt ne pèse pas trop lourdement sur les classes agricoles, et, parmi les adoucissements qu’elles pourraient obtenir sans péril pour les autres services, on doit mentionner la réduction des droits perçus sur les mutations d’immeubles, parce que ces droits portent sur le capital et non sur le revenu, et la simplification des expropriations pour favoriser les échanges. Notre agriculture gagnerait encore à la mise en exploitation de ceux des biens communaux qui demeurent incultes ou trop peu productifs. Les classes agricoles auraient elles-mêmes a* adoptencertaines mesures de prudence, par exemple = immobiliser le m0111S - 1