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préface.

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Ifenseignement de l’Économie rurale existe dans plusieurs universités allemandes.

AGRICOLES (Classes). Avant de cultiver la terre, les hommes ont passé par l’état sauvage et mené la vie nomade et pastorale. Avec l’agriculture commence, a proprement parler, la société politique ; sans elle, les idées de propriété et de patrie ne pourraient se développer ; source naturelle de richesse, elle assure aux peuples l’indépendance, en leur donnant le premier des biens, le seul qui ne soit pas factice, celui qui dépend le moins do Padversité des circonstances, c.-à-d. la vie, l’existence. Elle fournit encore à une foule d’industries les matières premières (chanvre, lin, laine, graines oléagineuses, etc.). L’agrienlture inspire aux hommes l’amour du repos et de la paix, et les intéresse à la défense du pays et à la stabilité du gouvernement. Aussi la religion et les lois civiles l’ont-elles toujours favorisée. Chez les anciens Égyptiens, la déesse Isis représentait la terre fécondée, et le bœuf était l’objet d’un culte. On dit que les rois de Perse prenaient, chaque mois, un repas avec des laboureurs. Les Grecs adoraient Cérès et Bacchus. Le peuple romain, essentiellement agricole et guerrier, sanctšfiait les travaux de la terre, accordait le plus de considération aux tribus rurales, et ses grands hommes quittaient la charrue pour aller gagner des batailles. Constantin le Grand interdit la saisie des bestiaux et des instruments aratoires, et les peuples modernes ont presque toujours imité ce respect pour les agents du travail du laboureur. L’importance de l’agriculture faisait dire à Sully : « Le labourage et le pastourage sont les deux mamelles dont la France est allaitée, les vraies mines du Pérou. » En Chine et au Japon, il est un jour de l’année ou l’empereur, afin d’honorer la charrue et de donner l’exemple à ses sujets, trace lui-même solennellement un sillon. Les États qui ont négligé l’agriculture, comme l’Espagne après la découverte de l’Amérique, sont tombés dans une misère profonde.

Malgré l’importance de l’agriculture, les classes qui s’y aclonnent ont été, pendant bien des siècles, et dans presque tous les pays, tenues dans une étrange infériorité. Chez les populations a demi sauvages, qui mènent la vie pastorale ou ne connaissent qu’une culture grossière, le sol est une propriété commune et non individuelle, exploitée d’après des règles établies par les chefs, et fréquemment soumise à de nouvelles répartitions. Il en était ainsi dans la Gaule avant César, en Écosse sous le régime des clans, parmi les indigènes de l’Amérique, et même on retrouve des restes de cette situation primitive chez les Arabes modernes et dans quelques districts de la Russie. Quand les populations se fixent sur le sol, la propriété passe aux mains des chefs ; l’occupation de la terre est soumise alors a des obligations déterminées, qui font de l’habitant un instrument de culture. La guerre amène plus rapidement encore un esclavage légal, que les vainqueurs imposent aux vaincus ; le cultivateur est attaché à la terre par un travail forcé. L’esclavage, excluant a peu près toute liberté de droit et de fait, a été la condition générale des classes agricoles dans l’antiquité. C’était une fraction de la caste populaire qui cultivait, en Égypte, les terres des prêtres et des guerriers. L’agneulture, en honneur chez les Romains avant les guerres Puniques, devint, après la conquête du monde, une-occupation servile. C’est dans notre histoire particulière qu’on peut suivre avec -le plus de certitude les progrès des classes agricoles depuis la servitude antique jusqu”à leur émancipation complète.

Après la chute de l’Empire romain et les invasions germaniques, on distinguait dans les cam agnes quatre espèces de personnes : des esclaves, des collons, des làtes ou lzdes, et des hommes libres. Les esclaves, en très-grande majorité, étaient un capital vivant, un instrument d’exploitation, et ne comptaient ni dans Pagglomération domestique (/’am1lta)ni dans l’État ; les constitutions des empereurs leur avaient à peine assuré quelques garanties contre les violences du maître, mais l’influence de l’Église devait atténuer peu a peu“les rigueurs de leur condition. Les colons, formés d’anciens esclaves qui avaient obtenu des dro1ts, et d’anciens hommes libres que la misère avait fait déchoir, étaient, comme les esclaves, attachés ala glèbe, inséparables de la terre et vendus avec elle, soumis aux châtiments corporels, et exclus des charges publiques : mais leur personne était libre, puisqu’ils devaient le service de guerre et la captation ou contribution personnelle ; travaillant pour eux-mêmes, ils ne payaient au propriétaire qu’une redevance ; ils pouvaient contracter un mariage légitime, ester en justice, iamasser un pécule, et acquérir même une propriété, sous la condition toutefois de*n’en disposer ou’de ne la transmettre q n’avec le consentement de leur maître. Les lètes ou ltdes étaient, dans les derniers temps de l’Empire, des cultivateurs libres, étrangers pour la plupart, et admis sur le territoire romain à la charge de services réels et personnels : après les invasions germaniques, ils demeurèrent dans la même condition ; ils étaient destinés à se fondre avec les colons, dont ils se distinguaient cependant en ce que les concessions de terre qui leur avaient été faites étaient révocables, et en ce qu’ils pouvaient se retirer du sol où on les avait reçus. Les hommes libres des campagnes étaient peu nombreux : la rareté et la circulation difficile du capital, l’absence de petite propriété, les envahissements des possesseurs de vastes domaines, la misère, le défaut de sécurité, formaient autant d’obstacles à la conservation de la liberté du cultivateur, qui fut bientôt contraint de rechercher le patronage, soit d’un voisin puissant, soit de quelque église. — Les quatre catégories de la population des campagnes tendirent à se rapprocher et à se confondre. Le colonat absorba les lèteš, qui obtinrent peu à peu l’hérédité de leurs tenures ; il reçut des esclaves dans ses rangs, qu”il ouvrit même aux cultivateurs libres ; de sorte que, pendant les premiers siècles du moyen âge, le sort des habitants des campagnes dut être assez uniforme. Toutefois, c’est par une marche très-lente qu’ils se sont rapprochés de la liberté : car leur émancipation résulta des concessions successives de droits déterminés, et la propriété qu’ils acquirent fut soumise longtemps encore à de nombreuses restrictions. La condition malheureuse des populations agricoles fut aggravée par l’établissement du régime féodal. En effet, la féodalité isola les villages, arrêta les communications, multiplia les juridictions. et créa de nouvelles servitudes : chaque seigneur s’attribuant le pouvoir souverain, il n’y eut plus de recours possible contre sa tyrannie et contre les exactions de sos agents. De là les associations formées en Flandre dès le x° siècle par les serfs et les gens de la campagne pour leur défense commune ; de la les insurrections des paysans en Bretagne (997) et en Normandie (1024), le soulèvement des Pasteureauœ (1252), la-.Iacquérie (1358), les révoltes des Tuchins, des Va-nu-fpieds, des Crocquanls, etc. Comme il est impossible qu’une société subsiste sans fixité et sans règle, l’aristocratie laïque et~ ecclésiastique des temps féodaux commença, au xn’siècle, à accorder des chartes, dont la première stipulation fut précisément celle de Pinvariahilité du cens et des redevances. C’est à partir du xnv siècle que le progrès des populations rurales devient surtout sensible. A cette époque, la classe des serfs, qui appartenaient lt leurs maîtres corps et biens, avait déjà disparu dans plusieurs provinces, et elle devait bientôt s’efl’acer dans les autres. Le recueil des ordonnances des rois de France est rempli d’actes d’afl’ranchissements généraux, s’appliquant au territoire d’une ville ou d’un village, ou s’étendant å. des provinces entières. En 1315, Louis X le Hutin donna la liberté a tous les serfs du domaine royal, et cet exemple fut peu a peu suivi par les seigneurs, qui cédèrent successivement a l’influence des idées chrétiennes, ou qui, comprenant que le travail de l’homme libre est plus productif que celui de l’esclave, aimèrent mieux avoir des tenanciers que des serfs. Les anciens colons, les hommes de liberté limitée, qu’ou appelait mainmortables, gens de corps, gens de condition, étaient en majorité dans les campagnes au x|n° siècle ; mais ils diminuèrent au profit d’une classe plus relevée encore, celle des vilains, appelés aussi tenanciers libres, gens depoeste (gentes potestalís), vavasseurs, etc. Le tenancier libre se distinguait du mainmortable en ce qu’il avait la pleine et entière disposition de ses biens ; mais il était, comme lui, assujetti aux droits seigneuriaux, aux redevances et services attachés å sa tenure ; il lui fallait une autorisation du seigneur pour acheter des terres, pour changer de résidence, ou pour entrer dans l’Église. L’abolition dela mainmorte date de l’ordonnance de Louis X le l-latin, qu’imitèrent les grands feudataires pour leurs domaines ; cependant elle subsista encore dans certaines provinces tardivement réunies à la couronne, comme en Lorraine, d’où elle ne disparut qu’en 1771. Pour les tenanciers libres, le travail du temps a consisté à dégager leurs tenures des conditions auxquelles elles étaient soumises, å. les affranchir successivement des charges diverses qui pesaîent sur elles, en un mot, à transformer les propriétés conditionnelles on propriétés absolues : ce travail

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