Page:Bachelet - Dezobry - Dictionnaire général des lettres, des beaux-arts et des sciences morales et politiques.djvu/102

Cette page n’a pas encore été corrigée
xviii
préface.

ALL. -

et féconde impulsion aux esprits, et suscita une foule de travaux et de recherches de tout genre dans la science, l’histoire, la littérature, la théologe. Schelling publia un certain nombre d’écrits, tous remarquables par l’étendue et la profondeur des idées, la richesse des vues et l’éclat du style. Il fonda une nombreuse école. Uinfluence de son système s’étendit à toutes les branches du savoir humain. Les sciences physiques ressentirent d’abord cette influence. On peut compter parmi les disciples de Schellíng des naturalistes comme Oken, Klein, Stephens Carus, Schubert. Une foule de théologiens philosophes, de moralistes, d’archéologues, d’historiens, de jurisconsultes, reproduisirent aussi plus ou moins fidèlement l’esprit de la nouvelle école, entre lesquels on doit citer Baader, Gœrres, Eschenmayer, Ast, Bixner, Stahl. Cette impulsion se communiqua même à la poésie, à. l’art et à la littérature. On en trouverait des traces non équivoques dans les poésies de cette époque et dans les œuvres des artistes.

Mais à côté des mérites brillants et réels devaient bientôt apparaître aussi les défauts, et ils étaient non moins frappants. Sans parler du panthéisme et de ses conséquences, de la difficulté de laisser intactes les vérités morales et religieuses dans un système où la personnalité divine et la liberté humaine sont également menacées et ouvertement compromises, le système contenait des vices et des lacunes qui, aux yeux des philosophes et des savants, devaient le rendre insuffisant. D’abord, le principe s’affirme et ne se prouve pas ; il se justifie simplement en se développant, et reste ainsi une hypothèse. Pour être compris, il en appelle a1*intuiu<›n, faculté qui conçoit l’absolu, c’est-à.-dire l’identité du réel et de l’idéal. Le mysticisme et le dogmatisme y reparaissent. Ce système n’a pas l’unité qu’il annonce ; de grandes lacunes s’y font sentir. Souvent les difficultés sont éludées plutôt que résolues. L’auteur a beaucoup varié dans l’exposition de ses idées ; il excelle a émettre de grandes vues et à tracer des esquisses générales, mais il ne sait ni entrer dans les détails, ni organiser la science dans toutes ses parties. S’il réussit dans l’attaque, il est moins habile à se défendre. Son style, éclatant de poésie, plein de richesse et de grandeur, manque de clarté continue. Les images abondent à côté des formules sèches et vides. Une marche fragmentaire, de grandes vues d’ensemble, et point d’exposition régulière, voila des défauts chez un philosophe qui veut fonder un système durable et gouverner les esprits.

Ces défauts du maître sont beaucoup plus sensibles dans les disciples : ceux-ci se mirent à parler un langage énigmatique et mystique, à dogmatiser au lieu de raisonner. Le mysticisme et la poésie envahirent la science. La philosophie entonna des hymnes et rendit des oracles. Ainsi s*explique l’apparition de Hegel et de son système. -

Esprit sévère et méthodique, doué à la fois d’une faculté puissante de réflexion et d’analyse et de l’esprit de systématisation ou de synthèse, Hegel était l’homme le plus capable de saisir ces défauts et d’y porter remède, de reprendre et de continuer en la *réformant l’œuvre commencée de la nouvelle école. Tout d*abord il vit le danger que courait la philosophie ; aussi son premier soin fut d’écarter la poésie de son langage, d’organiser la science dans son ensemble et dans toutes ses parties. Dans ce but, il crée des formules exactes et précises, et donne pour base à la philosophie la logique, qui pour lui d’aífleurs se confond avec la métaphysique. C’est d’abord et surtout en cela que consiste l’originalité de sa doctrine en opposition avec celle de Schelling, dont il adopte, du reste, la conception première et fondamentale. La logique, pour Hegel, n’est pas une simple description des formes de la pensée ; ses formules représentent le développement de la pensée absolue et les lois mêmes de l’univers. La logique de Hegel est tout son système en abrégé. A l’identité absolue de Schelling il substitue un principe plus simple qu’il appelle la notion ou le concept. C’est l’idée abstraite, dépouillée de toute forme et de tout attribut ; mais ce principe, doué d’une activité propre et d’une virtualité féconde, se développe, et, en se développant, revèt successivement toutes les formes de l’être et de la pensée. Dans une série d’évolutions qui marquent avec le progrès de l’idée la gradation des existences, l’idée se pose ou se détermine ; puis elle s’oppose a elle-même, se contredit ou se nie ; enfin elle surmonte cette contradiction et en triomphe. Elle passe ainsi a une forme supérieure, et toujours de même, triomphant ainsi de toutes les oppositions, se niant et s’al’firmant, se 94 * ALL

u

retrouvant dans un troisième terme qui concilie les contraires ; elle an*ive ainsi à réaliser ce qui est en elle, et a produire toutes les existences de la nature et de l’esprit on vertu d’un progrès qui est sa loi même ou son essence. Il nous est impossible de suivre l’auteur dans le développement de son système, où l’on retrouve, avec les graves défauts du système précédent, et d’autres qui lui sont propres, des qualités qu’il serait injuste de méconnaître : une puissante et vaste synthèse, et une analyse non moins remarquable de toutes les formes de la pensée et des objets de la connaissance humaine. A l’opposé de Schelling, Hegel entre dans tous les détails des questions ; il poursuit son principe dans toutes ses applications, et alors il sème sur son chemin une foule de vues originales, ingénieuses, souvent vraies et profondes, qui font de ses écrits, malgré leur obscurité, une lecture pleine d’instruction et d’intérêt pour celui qui sait vaincre cette difficulté. Hegel, que l’on a comparé sous ce rapport à Aristote, embrasse toutes les divisions du savoir humain ;] rien n’échappe å ses analyses et à. ses formules. Son système est une vaste encyclopédie. Il aboutit à une sorte d*éclectisme qui donne une place a tous les systèmes antérieurs anciens et modernes et prétend les concilier. Nous ne voulons pas défendre cette philosophie, qui soulève sans doute bien de graves objections et renferme des conséquences dangereuses ; nous disons seulement qu’il est ridicule de ne pas reconnaître une création puissante, et, a côté des erreurs et des hypothèses, des vérités de détail et des explications qui conservent leur valeur indépendamment des principes. Il faudrait aussi être aveugle pour ne pas voir les défauts de ce système : 1° le caractère hypothétique du principe ; 2° la difficulté de concevoir comment d’une notion vide où l’être et le néant se confondent peuvent sortir toutes les formes de l’existence et de la pensée, les attributs de l’Ê’.tre divin, les lois et les existences du monde physique et moral ; 3° le panthéisme, partout empreint dans cette doctrine, et ses conséquences fatales à la religion et à la morale, à toutes les vérités spéculatives et pratiques ; 4° les vices de la méthode, le dédain de l’expérience, l’abus du procédé d priori et de l’hypothèse ; 5° l’obscurité et l’étrangeté du langage, une exposition hérissée de formules, des termes souvent inintelligibles, la facilité de se payer de mots au lieu de résoudre les questions, tous les inconvénients du formalisme. Ce système est le dernier grand effort de la philosophie allemande. Hegel a fondé une école nombreuse, qui a compté et compte encore dans ses rangs beaucoup d’hommes distingués. Cette école elle-même s’est divisée en plusieurs branches : les uns, qui sont restés plutôt en deçà des conséquences de la doctrine du maître, ont formé la droite ; d’autres, dépassant ces conséquences, ont constitué la gauche ; d’autres, enfin, plus modérés, et s’efi’orçant de maintenir l’équilibre, ont représenté le centre. Plus tard, à l’époque des commotions sociales qui ont ébranlé l’Europe en 1848, on a vu de la gauche hégélienne sortir des hommes qui, attaquant ce qu’il y a de plus sacré dans les croyances religieuses et morales, ont professé ouvertement Pathéisme et le panthéisme matérialiste, et tiré de ces principes les plus hideuses conséquences.

Ces déplorables excès devaient amener une réaction contre la philosophie ; ils n’ont pas peu contribué au discrédit général où elle est tombée ; mais l’influence de ces systèmes n’a pas cessé de s’exercer non-seulement en Allemagne, mais dans les autres pays de l’Europe. On retrouve la pensée de ces philosophes dans une foule d’écrits des genres les plus différents sur la religion, l’art, la littérature, l’histoire, les théories sociales, etc. D’autres systèmes, à côté des principaux, ont essayé de se produire ; mais n’ayant ni la portée ni l’originalité des premiers, ni le même génie dans les auteurs, leur influence a été plus faible et plus restreinte. On peut citer, par exemple, celui de Krause, comme ayant eu le plus de succès. C’est en réalité une variante de la philosophie de Schelling, combinée avec celle de Leibniz. L’auteur, voulant échapper au panthéisme et à ses conséquences, conserve à Dieu et aux êtres de la création leur individualité et leur personnalité ; il conçoit le monde comme un tout harmonieux relevant d’une cause ordonnatrice et distincte ; mais les difficultés sont plutôt masquées que résolues. Ce système a trouvé quelques adeptes, surtout en Belgique, et l’on s’est appliqué surtout a en tirer des applications à la science sociale. Dans ces derniers temps, après l’espèce de réprobation dont a été frappée la philosophie allemande par suite des théories sauvages écluses du sein de ces systèmes, des