Page:Bachelet - Dezobry - Dictionnaire général des lettres, des beaux-arts et des sciences morales et politiques.djvu/101

Cette page n’a pas encore été corrigée

ttij = 93 ~ ALL

qué ses principes à la politique, et s’est rendu illustre par son ardent patriotisme. Ses discours à. la nation allemande enflammèrent la jeunesse des universités au moment où l’Allemagne se leva pour secouer le joug de la domination française. Ses œuvres morales sont remplies de pensées élevées et de nobles sentiments, indépendants de tout système ; ses idées sur la destination de l’homme en général, du savant et de l’homme de lettres, offrent ce caractère. Enfin, dans les derniers temps de sa vie, Fichte semble reconnaître lui-même ce qu’il y a de faux et d’artificiel. dans son système ; il distingue la foi de la science, et revient au point de vue de Jacobi. C’est dans cet esprit que sont composés ses derniers ouvrages, empreints d’un sentiment religieux et mystique.

Fichte ne pouvait fonder une école ; mais sa doctrine n’en exerça pas moins une grande influence ; on en retrouve l’esprit et les tendances dans une foule d’auteurs tels que Fr. Schlegel, Novalis, Jean-Paul, Schlciermacher, Solger, etc., dont les écrits sur la métaphysique, la psychologie, la morale, la religion, l’art ou la littérature, portent l’empreint de la pensée générale qui fait le fond de cette philosophie.

Avec Fichte l’idéalisme subjectif a dit son dernier mot ; ce système est constitué dans ses principes, développé et-formulé dans ses conséquences. Il a acquis ce qui lui manquait, l’unité. Mais, si la conception témoigne d’un puissant etl’ort de la pensée ; si, dans les détails, de grandes vérités ont été émises, des points traités avec originalité et avec profondeur, les défauts sont encore plus frappants que les qualités. Un pareil système ne pouvait satisfaire la raison ; ce qu’il a d’abstrait, de chimérique, de contraire au bon sens et à la réalité, choque au premier abord. Ce système fait violence aux instincts les plus naturels a l’homme. Le sens de la réalité extérieure, la foi à l’être absolu, présent dans l’univers comme dans l’âme humaine, devaient non-seulement protester, mais amener une réaction dans le domaine de la science. Aussi la philosophie allemande va entrer dans une phase nouvelle : à Pidéalisme subjectif succède un autre système, l’idéalisme objectif, qui, tout en conservant les résultats des systèmes précédents, cherche a ressaisir le côté réel, objectif, absolu des choses, et à. concilier les deux termes.

II° période : Idéalisme objectif. — Le caractère de la période précédente est de tout concentrer dans l’intelligence, de faire sortir du moi ou de l’esprit tous les objets de la connaissance, le monde et ses lois, et Dieu lui-même comme idéal de la raison. Mais cette philosophie, œuvre de réflexion puissante, est loin de satisfaire la raison elle-même, dont les idées n’ont pas de valeur ; réelle, puisque leur objet s’évanouit dans les formes de la pensée. Si les facultés logiques y trouvent leur emploi, le sentiment vif de la réalité le repousse ; le spectacle des choses visibles le dément ; l’expérience et le bon sens réclament. Dans la sphère même du raisonnement, les contradictions abondent, dont on ne sort que par un effort désespéré en dehors du réel, ou par un appel vague a la foi ou au sentiment, et par un retour au mysticisme. La pensée ne pouvait donc s’arrêter là.. Il s’agissait de reconquérir les grands objets de la croyance et de Fintelligence humaine, le côté objectif ou Pobjectivité, comme disent les philosophes. Pour cela, il fallait sortir des oppositions dans lesquelles la science spéculative et pratique se trouvait enveloppée depuis Kant, et qu’avaient déjà soulevées avant lui les anciens systèmes. Ce fut la tache qu’entreprit la philosophie allemande dans la période suivante. De la est ne l’idéalisme objectif on absolu.. Les deux grands systèmes qui la représentent, ceux de Schelling et de llegel, répondent à cette idée et résolvent ce problème. Le point de départ est, nous l’avons dit, la nécessité de sortir des oppositions accumulées par les systèmes’antérieurs, oppositions qui, chez les derniers, se formulent en métaphysique sous les noms de sujet et d’objet, de relatif et d’absolu, d’idéal et de réel, de fini et d’infini, ailleurs sous ceux de la matière et de l’esprit, de la prescience divine et du libre arbitre, de la fatalité et de la liberté, du devoir et de Pintérèt, de la force et du droit, etc. Elles reparaissent dans toutes les divisions de la science et dans toutes les formes de l’activité humaine. Schelling entreprend de lever ces contradictions, en rattachant les deux termes contraires a un terme plus élevé où ils s’unissent et se confondent. Ce principe supérieur est l’Unité absolue, l’Ètre un et identique, qui est la racine et la base des existences. En lui les oppositions s’efl’acent ; il est l’absolue identité des contraires. Ce système s’appelle le système de l’iclentité, ’ Sa formule est A=A. Mais ce principe identique ne Pest pas à tel point qu’il soit une unité vide et morte. Il renferme en soi des oppositions et des différences, d’où l’engendrent la vie, le mouvement et le développement des etres à leurs divers degrés, et où ils conservent avec leur nature commune leurs propriétés particulières et distinctives. C’est ce qu’il appelle la différence dans l’indifl’érence et la grande loi du développement ou du progrès universel. Ce progrès continu reproduit l’identité dans la diversité et la diversité dans l’unité. Tout s’organise ainsi en vertu de cette loi. L’univers est ce vaste ensemble d’existences diverses où se remarque un progès ou un développement continu et incessant. Le monde, parti de Punité, y retourne ; il offre une infinie variété d’exist›ences, mais c’est un tout harmonieux. Tout ce qui était en germe dans le principe apparaît ici développé, manifesté, réalisé. L’idée première de ce système n’est pas nouvelle ; elle est empruntée aux Alexandrins, à Jordano Bruno, à Spinoza, à Leibniz, à Kant et à Fichte ; c’est celle de Punité et de l’harmonie universelle. L’originalité est d’abord dans la tentative d’une plus haute conciliation entre les termes opposés ; elle est dans le rapport qui unit le fini lt l’infini et l’infini au fini, et qui est un rapport d*identité laissant subsister la diversité, mais surtout dans cette loi du progrès et du développement où conduisent les travaux de la science moderne. Ce développement universel reproduit partout la même unité, mais à un degré supérieur ou à. une plus haute puissance, enrichie de qualités nouvelles, de forces, de puissances ou de facultés. En se développant, l’unité se divise : le monde offre aussi deux grandes divisions, le monde physique et le monde moral. Au sein de la nature physique se retrouvent partout avec l’unité la variété, le mouvement, la vie, une gradation d’existences qui, sans interruption, conduit jusqu’aux premières manifestations de l’intelligence. Dans le monde moral, la même unité reparait avec toutes les formes précédentes, auxquelles s’ajoutent des qualités nouvelles, la conscience, la raison, la liberté. C’est le monde idéal, qui lui-même se développe et parcourt dans son développement toutes les phases de l’humanité et de la civilisation. Les êtres du monde physique et du monde moral conservent, avec leurs différences essentielles, une radicale identité, celle du principe qui est en eux, qu’ils développent et manifestent. La nature et l’homme renfennent au fond les mêmes lois, révèlent la même substance, expriment la même pensée. La nature suit ces.lois d’une manière fatale et aveugle ; dans l’homme, cette loi m’apparaît a elle-même, la force se détermine par elle-même, elle devient consciente et libre. Ainsi la nature et l’homme sont sortis du même principe. Ce principe lui-même n’existe et n’agit qu’à la condition de se développer et de se révéler a lui-même’dans l’univers. Il se développe à travers les règnes de la nature, les degrés et les formes du monde physique et moral, dans le minéral, la plante, Panimal ; dans l’homme, les différentes formes de l’humanité, dans le monde civil ou de l’histoire ; dans les institutions sociales, la religion, la philosophie, l’art : formes variées, degrés différents, manifestations diverses du même principe, de la pensée et de l’activité divines.

Schelling prétend ainsi lever toutes les difficultés jusqu’alors insolubles dans la science, expliquer tous les mystères de la raison et de la philosophie. L’absolu, telle est la conception fondamentale de ce système. Il faut y ajouter l’idée du développement qui lui est inhérente et qui le distingue. Cette idée substitue à la création par un acte libre de la volonté divine une manifestation nécessaire de Dieu : le monde est le développement éternel de la substance infinie, et lui-même est infini. Cette conception, Schelling l’appliqua d’abord à la nature ; il fonda une philosophie de la nature ; c’est le nom que prit son système. Il aborda ensuite les questions de l’ordre moral, de la religion, de l’histoire, du droit naturel, de l’art. Ce système séduisit surtout les savants par la facilité avec laquelle il levait des difficultés jusque-la réputées insolubles, comme aussi par la manière dont il se met d’accord avec les grands résultats de la science moderne. Dans l’ordre moral le succès fut moindre. Le panthéisme apparait ici avec toutes ses conséquences et crée de nouvelles difficultés. Cependant, là encore, il eut des vues profondes et répandit de vives clartés. Les problèmes relatifs à la Providence, à la révélation et à la tradition, à l’histoire, à l’inter rétation des fables mythologiques, au droit et à la politi e, à l’art et à la poésie, furent agités avec un zèle et une ardeur inconnus, au point de vue de la philosophie nouvelle. Ce systèyie imprime une grande