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Mais de tous points dure en toute rigueur,
Ne luy monstroit nul semblant de faveur :
N’en doux parler, n’en douce contenance,
Ne luy donnant d’Amour nulle allegeance :
Non un clin d’œil, non un mot seulement,
Non de sa levre un petit branlement,
Non le laissant tant approcher qu’il touche
Tant soit petit, à sa main de sa bouche,
Non luy laissant prendre un petit baiser
Qui peust d’Amour le tourment apaiser.
Mais tout ainsi que la beste sauvage
Fuit le chasseur se cachant au bocage,
Elle farouche et pleine de soupçon
Fuioit cet homme en la mesme façon.
Luy cependant cuidant venger l’injure
Que luy faisoit cette cruelle et dure
Par un courroux, chagrin et despiteux,
Contre soi-mesme, helas, fut impiteux :
Car en un rien ses deux Ievres tant belles
Se vont secher : il rouoit ses prunelles
Dedans deux yeux enfoncez, comme atteint
Jusqu’à la mort : il perdit son beau teint :
Une jaunisse environna sa face :
Mais cependant pour tout cecy l’audace
De sa cruelle en rien n’adoucissoit,
Ny sa fureur de rien n’amoindrissoit.
Tant qu’à la fin ayant son ame outree
De desespoir, il s’en vint où l’entree
On luy avoit refusé tant de fois,
Ne luy faisant qu’un visage de bois :
Et devant l’huis maudit de sa meurdriere
Il sanglota sa complainte derniere,
Et larmoyant donne un baiser dernier
À l’huis ingrat : puis se met à crier :
Ingrate, ingrate, ô inhumaine, ô dure,
D’une Lionne ô fiere nourriture,
Toute de fer, indigne d’amitié,
Puis que tu as en horreur la pitié.