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l’une ou l’autre partie, nous n’avons pas non plus de raisons péremptoires ni même de motifs suffisants pour distinguer deux dialectes. Naguère encore, le fragment tout entier me paraissait devoir être attribué à la Normandie orientale (est du Calvados, Eure ou Seine-Inférieure). Les raisons alléguées par Miss Pope en faveur de la Normandie occidentale (ouest du Calvados ou Manche) ne m’ont pas convaincu. Au contraire, la plupart des traits énumérés ci-dessus me semblent, à un nouvel examen, converger tout à l’opposite, vers les confins de la Normandie et de la Picardie, du diocèse de Reims et du diocèse d’Amiens.

La copie nous offre, avec des vestiges du dialecte et de la graphie du manuscrit original (par exemple, g vélaire transcrit avant e ou i par g, ei rare et e pour ei), les formes de langue assez différentes qui prévalaient en Normandie au XIIIe siècle et coïncident en partie avec le français de Paris et de l’Ile-de-France : c pour ch et ch pour k ; an pour en ; ie pour iee et ire pour iere ; oi et même o (ro 600, ros 757, 1990, çole 669) pour ei ; oie pour eoi, eei (voier 473, 4338, soier 3347, choier 1087, 3937, etc.). L’usage d’ie ou e pour i, dans lié, mié, prié, liez (703, 2527), est (1054), décèle l’intervention d’un copiste occidental dans la transmission de notre texte. Le scribe a quelquefois négligé la différence entre s simple et géminée : pensasent 791, atochasent 792, grose 1329, parroise 1433, angoise 1434, peüse 2223, eüse 2224, laisier pour plaisier 2579, chases 4133, mases 4134, fause 4145, sause 4146 ; osse 230, besse 461, esse 548, prisse 1946 (pour ose, baise, aise, prise).

Fortune du poème. — La plupart des allusions aux amours de Tristan et d’Iseut, si fréquentes dans la littérature du moyen âge, sont trop vagues, trop générales, pour qu’on puisse les rapporter sûrement à l’une des versions, à l’un des romans connus. Les plus nombreuses et les plus précises sont contenues dans les deux petits poèmes de La Folie de Tristan, dont l’un se conforme à la version de Thomas, l’autre à la version commune. Ce dernier, conservé à la Bibliothèque de Berne, s’adapte si exactement au notre et la langue en est si peu différente que, de lui supposer un autre modèle, il me semble que c’est chercher midi à quatorze heures. Une chanson de Jean Bretel d’Arras a pour refrain[1] :

  1. Bibliothèque de l’École des Chartes, XLI, p. 205.