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docteur edgar bérillon

Le rituel de la beuverie comporte des formules dont nul ne peut se départir. Si l’on pose la question : Comment trouvez-vous la Gulle ? La réponse réglementaire doit être : Gœttlich ! (divine !). Sans cela on est exclu ou mis en accusation.

Un buveur ne porte jamais une chope à la bouche sans s’adresser à quelqu’un et, en levant le verre, prononcer le mot : Prosit ! L’interpellé doit répondre : Ich komme nach (je suis) et boire également.

Si l’on vous dit : Prosit einen Halben in dem Bauch ! (grand bien vous fasse, un demi-litre dans la panse !), dans le délai de trois minutes l’invité doit avoir avalé sa chope.

Cent autres formules analogues constituent le rituel de la bière, rédigé sur le modèle de celui de Leipzig et qui sert à l’initiation de tous les Fuchse (renards).

À côté du rituel, chaque buveur a devant lui le Commersbuch, le recueil de psaumes.

Sur l’ordre du président les gosiers altérés passent tour à tour de l’hymne patriotique ou religieux à la chanson bachique, intercalant à chaque pause le refrain perpétuel : « La bière coule sans fin. » (fig. 16.)

Les chants ne sont interrompus que par des récits où le Witz allemand se donne libre cours. Le Witz est une fantaisie qui a la prétention d’être satirique et ironique. Le Commersbuch en contient une douzaine où l’allure prétentieuse le dispute à la longueur, la lourdeur et la platitude. Aucun de nos étudiants n’en pourrait entendre le débit sans être pris de sommeil.

Il s’agit donc d’une soûlerie systématique et violente, contenue par une forte discipline.

La description de certains intermèdes devient à peine possible. À la Gulle est annexé le Speibecken qui est l’accessoire obligé de l’orgie : le vomitorium.

« Toute l’Allemagne, les républiques de la Hanse, les grands-duchés et les royaumes dissidents de l’empire, écrit Jules Huret, se rencontrent devant la cuvette (Speibecken) ». Quelle solidarité dans l’amour de la bière et de la patrie allemandes !

L’ivrognerie rituélique des Allemands ne trouve pas seulement son application journalière dans les Kneipe d’étudiants, mais les repas de corps des officiers, les banquets de corporations, dans les festins funéraires et toutes les réunions empreintes de quelque solennité : médicales, scientifiques ou autres.

Les congrès médicaux internationaux, siégeant en Allemagne, avaient été pour un grand nombre d’entre nous l’occasion d’une impression des plus pénibles.

Ce n’est pas sans un sentiment profond de dégoût que nous avions vu des professeurs, déjà âgés, se soumettre avec docilité à toutes les prescriptions de ces rites barbares. Ces hommes, d’allure respectable, n’hésitaient pas à associer leur voix à l’exécution des chants les plus méprisables, avant