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LA FRANCE INTELLECTUELLE

l’étudiant français entendit les jeunes paysannes « chanter à deux voix les vieux refrains de la vallée, des mélodies d’une douceur pénétrante ». À Munich, où il suivait des cours de philosophie et d’esthétique, il assista à la première représentation de Tristan et Yseult. Ce fut, il l’a dit lui-même, « la plus grande impression dramatique et artistique de sa vie ». Il écrivit à Richard Wagner, alors conspué par la critique allemande, une de ces lettres où la jeunesse se donne, et qui sont pour le génie contesté la plus vengeresse des couronnes. Wagner fut tellement frappé de cette lettre qu’il la montra au roi de Bavière en lui disant : « Vous le voyez, tout n’est pas perdu ! »

L’Histoire du Lied et le Drame musical, les deux premiers grands ouvrages d’Édouard Schuré, sont sortis de ces impressions de jeunesse, de ces rencontres avec les petites paysannes et les grands génies de l’Allemagne.

Vers 1866, Édouard Schuré revint en France et se fixa à Paris. Les bibliothèques, les musées, les théâtres, les concerts, la fréquentation du monde et de la jeunesse intellectuelle, ouvrirent à cet esprit ardent, jusque-là un peu sauvage, de nouveaux horizons de pensée et de vie. À la Conférence La Bruyère, dont il fit partie avec beaucoup de jeunes hommes très distingués de cette époque, il publia une remarquable critique des idées de Proudhon en matière d’esthétique. Dans ce travail, qu’il intitulait la Mission de l’art au XIXe siècle, Édouard Schuré exposait déjà quelques-unes des idées qu’il devait illustrer par les grands ouvrages de sa maturité : « la conscience de l’humanité manifestée par