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nouveau par le criterium historique de J.-J. Griesbach : est-il possible que les choses se soient passées, que les poèmes aient été produits de la façon que les anciens et la majorité des modernes nous disent ? C’est à cette question, à celle-là seulement, que le premier volume des Prolégomènes répondait résolument : non. Puisqu’Homère n’avait pas pu écrire ses poèmes, puisque les rhapsodes avaient dû les conserver de mémoire, plusieurs siècles durant, faute de pouvoir les écrire, il n’était pas possible que, primitivement, ce que nous attribuons à Homère fût un ensemble prémédité.

Aussi Wolf, à la page 113 des Prolégoménes, ne poussait le cri de triomphe ou de soulagement alea jacta est ! qu’après la phrase décisive : « Il faut dire et redire ce mot de possibilité : tiré de la nature même de l’homme (ex ipsa humana natura, dit Wolf ; de fide historica ex ipsa rerum natura judicanda, avait dit Griesbach), cet argument a tant de force ! c’est un tel appui de notre thèse ! tant qu’on ne l’aura pas écarté, à quoi bon se tourmenter, se préoccuper même des autres difficultés qu’on peut trouver en notre opinion ? Identidem repetendum est illud posse... » Donnez à Homère dix langues, une voix de fer, des côtes d’airain ! non ! il n’aurait pas encore pu faire l’Iliade et l’Odyssée que nous avons, id Homerus non potuisset decem linguis, ferrea voce et aeneis lateribus efficere. Pourquoi ? parce qu’il n’est pas humainement possible qu’un homme, fût-il doué d’un céleste génie, ait jamais composé, ni seulement conçu des poèmes de douze mille et de quinze mille vers sans tablette et sans écritoire. Or Homère n’avait ni tablette ni écritoire, puisqu’il ignorait l’écriture.

Mais l’eût-il connue lui-même, qu’une seconde impossibilité se dresserait encore : on n’écrit que pour des lecteurs ; or les contemporains d’Homère étaient