ordonnant au héraut de remplir les coupes pour les dernières libations aux dieux.
Il a émis l’idée que ce naufragé, tombé soudain en Phéacie, pourrait être l’un de ces dieux, qui fréquentent volontiers les peuples qu’ils chérissent :
Ulysse. — Ne garde pas, Alkinoos, cette pensée. Je n’ai rien de commun, ni l’être ni la forme, avec les Immortels, maîtres des champs du ciel ; je ne suis qu’un mortel et, s’il est un humain que vous voyez traîner la pire des misères, c’est à lui que pourraient m’égaler mes souffrances, et c’est encor de moi que vous pourriez entendre les malheurs les plus grands, car j’ai pâti de tout sous le courroux des dieux ! [Mais laissez que je soupe, en dépit de ma peine !… Est-il rien de plus chien que ce ventre odieux ? toujours il nous excite et toujours nous oblige à ne pas l’oublier, même au plus fort de nos chagrins, de nos angoisses ! Quand j’ai le deuil au cœur, il veut manger et boire ; il commande et je dois oublier tous mes maux : il réclame son plein !…] Mais vous, sans plus tarder, dès que poindra l’aurore, rendez un malheureux à sa terre natale ! Que je pâtisse encor, que je perde le jour ; mais que je la revoie !
À rencontrer ici les vers que j’ai mis entre crochets, n’éprouve-t-on pas la surprise que pourrait provoquer, dans un roman de Mme de Lafayette ou dans une oraison funèbre de Bossuet, la tirade de Rabelais : Tout pour la tripe ?