Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 1.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.
manière la plus tendre, en versant beaucoup de pleurs : toute sa suite témoigna également un grand chagrin de nous voir partir. Bientôt après, nous eûmes calme tout plat, et j’envoyai les canots en avant pour nous touer. Toutes les pirogues revinrent alors près de notre bâtiment, et celle de la reine s’approcha de la sainte-barbe, où ses gens l’attachèrent. Elle vint dans l’avant de sa pirogue et s’y assit en pleurant sans qu’on pût la consoler. Je lui donnai plusieurs choses que je crus pouvoir lui être utiles et quelques autres pour sa parure : elle les reçut en silence et sans y faire beaucoup d’attention. À dix heures, nous avions dépassé le récif. Il s’éleva un vent frais : nos amis les insulaires Taïtiens et, surtout, la reine nous dirent adieu pour la dernière fois avec tant de regrets et d’une façon si touchante que mes yeux se remplirent de larmes.

L’année d’après, Bougainville abordait à cette « terre de Vénus », où ses gens et lui-même, comme Ulysse chez Circé, adoptaient pour un temps les mœurs du pays :

Chaque jour, nos gens se promenaient sans armes, seuls ou par petites bandes. On les invitait à entrer dans les cases ; on leur y donnait à manger ; mais ce n’est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des maîtres de maison ; ils leur offraient des jeunes filles ; la case se remplissait à l’instant d’une foule curieuse d’hommes et de femmes qui faisaient un cercle autour de l’hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonchait de feuillage et de fleurs, et des musiciens chantaient aux accords de la flûte un