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mement d’Ulysse, le seul armement dont il soit fait mention dans le poème. Circé, en donnant au héros ses instructions sur la route à suivre entre Charybde et Skylla, avait prévu et déconseillé ce geste inutile, « car, du fond du vaisseau, le plus habile archer ne saurait envoyer sa flèche dans la grotte où Skylla, la terrible aboyeuse, a son gîte ».

Ses pieds, — elle en a douze, — ne sont que des moignons ; mais sur six cous géants, six têtes effroyables ont, chacune en sa gueule, trois rangs de dents serrées, imbriquées, toutes pleines des ombres de la mort. Enfoncée à mi-corps dans le creux de la roche, elle darde ses cous hors de l’antre terrible et pêche de là-haut, tout autour de l’écueil que fouille son regard, les dauphins et les chiens de mer et, quelquefois, l’un de ces plus grands monstres que nourrit par milliers la hurlante Amphitrite. Jamais homme de mer ne s’est encor vanté d’avoir fait passer là sans dommage un navire : jusqu’au fond des bateaux à la proue azurée, chaque gueule du monstre vient enlever un homme.

Ulysse. — Tout de même ! dis-moi franchement, ô déesse ! si j’allais, évitant la perte sur Charybde, m’attaquer à Skylla…

Circé. — Pauvre ami ! tu ne vois toujours que guerre et lutte ! Tu ne veux même pas céder aux immortels ?… Skylla ne peut mourir ! c’est un mal éternel, un monstre inattaquable ! il n’est de sûr moyen contre elle que la fuite. Au long de son rocher, si tu perdais ton temps à prendre ton armure, un élan, de nouveau,