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Depuis longtemps la montre d’or et quelques autres débris de notre passagère opulence servaient d’hypothèque au Mont-de-Piété ; ma garde-robe se composait de trois mauvaises chemises qu’une main amie se fatiguait à raccommoder, d’une mince redingote bien râpée, d’un pantalon percé au genou et d’une paire de bottes qui faisait mon désespoir, parce qu’en les décrottant chaque matin j’y découvrais toujours quelque blessure nouvelle. Je venais de jeter à la poste quatre ou cinq cents vers dans une lettre d’envoi à M. Lucien, ne révélant à personne cette tentative faite après tant d’autres tentatives. Deux jours passés sans réponse, un soir, la meilleure amie que j’aie eue, la bonne Judith[1], avec

  1. On a dit que mademoiselle Judith Frère était la nièce de M. Valois, maître d’armes dans la pension où fut élevé Béranger en 1789, et que son oncle se servait d’elle comme d’un prévôt pour donner des leçons à ses élèves. Ce professeur d’escrime s’appelait Levalois. Il avait en effet une nièce que Béranger a beaucoup connue ; c’est madame Redouté, qui fut aussi la nièce du peintre de fleurs de ce nom. Judith était sa cousine germaine. Ni l’une ni l’autre n’ont touché aux fleurets de M. Levalois. Mademoiselle Judith était la jeune fille la plus douce et la mieux élevée. Béranger, qui l’avait entrevue dès le temps où il demeurait avec sa mère dans la rue de Notre-Dame-de-Nazareth, ne la connut bien qu’en 1796, au moment où elle allait avoir dix-huit ans. Il la rencontra chez une tante fort respectable, mademoiselle Robbe, qui l’élevait et qui lui laissa, en 1818, les chétifs débris d’une fortune détruite par la Révolution (moins de 300 francs de rente).

    Quoiqu’elle n’ait demeurée sous le toit de Béranger qu’à partir de 1855, on peut dire que cette amie a partagé sa vie tout entière ; elle