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consolations. Ainsi j’ai triomphé d’une secrète disposition à l’humeur noire, dont les retours devin-


    De l’amour à la pensée,
    De la pensée à l’amour.

    Point de faiblesse, pas de servilité (et c’est ici le correctif qui ne manque pas de fierté) :

    Jamais la tendre volupté
    N’approcha d’une âme flétrie ;
    Doux enfant de la liberté,
    Le plaisir veut une patrie !

    Ainsi parle au jeune Grec, qui n’avait plus de patrie, l’Ombre d’Anacréon.

    Sans doute, c’est mettre de la raison en toute chose, et jusqu’en ce qu’il y a de plus ennemi de la raison. Béranger n’est pas loin, en réalité, de croire lâche un cœur qui ne veut s’emplir que d’amour, et il considère comme des cris de folie, en un siècle chargé de fatigues et de peines, ces voluptueuses et dédaigneuses déclamations que tant de poëtes, et, à leur imitation, tant d’hommes lancent à la face des champs, des bois, des prés, des eaux, comme si la nature éternelle n’était qu’un théâtre dressé pour leurs plaisirs d’une heure. Lisez la parabole de la Rivière :

    Qui parle ainsi ? c’est l’âme folle
    D’un poëte qui dans ce lieu
    Oublie aux pieds de son idole
    Ceux qui travaillent devant Dieu.

    Béranger ne nous corrigera pas tous : il y en aura toujours quelques-uns parmi nous pour aimer la solitude, pour mener leurs amours au plus profond des bois, pour supprimer en rêve ce qui environne cette retraite, pour prier Dieu d’éteindre autour d’elle toutes les lumières et d’assoupir tous les bruits. Mais qu’ils se relèvent, qu’ils se réveillent de cette langueur, qu’ils songent à leur tâche : voilà ce qu’il demande.

    Si la passion, l’ancienne passion chevaleresque, si l’amour romanesque et dramatique était une part nécessaire de la vie, si chacun devait aimer à la façon des héros de nos livres, Béranger aurait tort de