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que le ciel faisait descendre sur moi. Plusieurs de nos capitalistes, convaincus, malgré mon extrême jeunesse, de mes aptitudes financières et de ma probité, que leur avaient si bien prouvée mes larmes et mon désespoir, me proposèrent des fonds assez considérables pour recommencer des affaires : mon père me poussait à accepter, ce fut en vain. Le métier m’inspirait un tel dégoût, que j’aimais mieux rester pauvre[1] que de retourner à cette Bourse, où je n’ai

  1. La lettre qui suit, écrit en 1802, montre, en la saisissant sur le fait, quelle fut la délicatesse de Béranger en ce moment et de quel cœur il accepta la lutte avec la misère.
    Ce 1er  frimaire an X.
    Mon père,

    Hier tu t’es fâché au lieu de me répondre. La cause qui me portait à te parler comme je le faisais, n’eût-elle pas été juste, méritait bien que tu t’expliquasses tranquillement. Était-ce l’intérêt qui me faisait parler ainsi ? Tu sais bien que jamais mon âme ne fut ouverte à ce sentiment.

    Je n’entends rien aux affaires, et je crains de les voir s’embrouiller. Tu t’y entends beaucoup mieux que moi ; mais tu ne laisses pas moins les tiennes en désordre.

    Si tu t’étais donné la peine de m’écouter jusqu’au bout, tu aurais vu que je ne demandais de toi qu’un simple arrangement, qui assurât ma tranquillité, dans la misère où je sens que mon caractère et mes goûts me réduiront.

    Tu as, je le crois bien, dépensé pour Sophie au delà de sa part dans le faible héritage de ma mère. Eh bien, dresses-en le compte avec mon oncle Merlot. Qu’un acte sous seing privé l’atteste et réponde à toutes les réclamations qui pourraient être faites.

    Si ce moyen n’est pas le bon, indiques-en un autre.

    Cependant je n’attendrai pas que cela soit fait pour donner ma si-